Campagne empersoise d'un commandant graméen

Svold warz Katzar était monté sur l’enceinte d’Ephyne, la nuit était noire malgré la pleine lune. De nombreux nuages cachaient cette dernière et seuls les nombreux éclairs de cette nuit orageuse lui permettaient de scruter les environs d’Ephyne.

Il était le commandant en chef des armées de la cité de Narcoria en Gramée, Dame Liara lui avait confié la lourde tache d’assurer le commandement des troupes de Narcoria stationnées à Ephyne. La Gramée venait de remporter une victoire historique devant la capitale empersoise. Il était fier d’avoir été un acteur principal de cet événement bien qu’il regrettait la perte de la totalité des épéistes de Narcoria tombés sous les flèches empersoises. Il avait été épargné car son unité de cavalier lancier, d’où il commandait le reste des troupes, n’avait pas chargé lors de cette bataille qui permit à un graméen d’investir Ephyne. L’Unique en avait décidé ainsi, donc il n’éprouvait aucun sentiment de culpabilité d’avoir conservé la vie alors que ses compagnons d’arme avaient péri.

Autant, il avait approuvé le siège d’Ephyne, autant la campagne empersoise, devant permettre comme disait sa maîtresse, l’A’nshal’a de Gramée, la pacification de l’Empersiste le lassait. Il ne comprenait rien à la diplomatie et à la politique. Il aimait ce pour lequel il avait été formé à l’Académie militaire graméenne de Yohéli fondé par le Commandeur Léthal, un homme dont le nom restera graver dans l’histoire de la Gramée. Il ne trouvait un sens à sa vie qu'avec ces troupes à Narcoria lors des entraînements et, encore plus, sur les champs de bataille. Il aurait voulu exercer ses services sous les ordres de Sophréna Osgarth, mais ses troupes d’élites n’étaient formées que par des femmes. Elle, au moins, était une guerrière aimant s’entraîner avec ces troupes, contrairement à Liara qui ne participait jamais aux entraînements et qui fuyait les champs de bataille.

Cependant, il avait donné sa vie à Dame Liara et s’était fait tatouer dans son cou cette ankh rouge, symbole d’allégeance, qui mettait un peu de couleur sur son visage recouvert de tatouage noir. Il respectait cette jeune femme qu’il n’avait pourtant jamais vu en tenue de combat, lui, le militaire, qui ne jurait que par les armes. Il la craignait également, enfin, surtout cette courte dague qu’elle portait à la ceinture de sa tunique noire qu’il savait enduite d’un poison qu’elle avait confectionné elle-même. Il avait déjà vu à l’œuvre ce poison issu des enseignements graméens et orcumiens qu’elle avait reçus. Il avait bien fallu que la jeune Liara s’impose à la tête de Narcoria ce qui n’est pas aisée en Gramée. Peut-être, son respect envers elle, venait justement qu’une femme semblant si vulnérable pouvait terrasser d’un coup de dague le plus fort des soldats graméens qui osaient se mettre en travers de son chemin.

Debout sous la pluie sur le chemin de Garde, Svold warz Katzar maudissait sa maîtresse et les responsables de la stratégie militaire graméenne de l’avoir obligé à rester à Ephyne plongé dans l’inaction. Cette nuit là, il était également responsable de la défense d’Ephyne. Les maudits nuages cachaient la pleine lune qui aurait permis d’éclairer la plaine entourant les fortifications d’Ephyne. Seuls les éclairs précédents le grondement du tonnerre permettaient d’entrevoir les alentours. Il appréciait les orages à Narcoria, mais cela faisait plusieurs saisons qu’il se morfondait à Ephyne attendant des ordres qui ne venaient jamais, et le déchaînement des intempéries ne faisait qu’exacerber ses besoins d’action.

Soudain, à l’occasion d’un éclair, il crut entrevoir juste devant les portes d’Ephyne, la présence de nombreux soldats. Il se concentra, attendant que le ciel lui redonne la vue. Un second éclair lui permit de confirmer la présence de troupes devant Ephyne, mais également d’un autre attroupement plus éloigné. Deux armées semblaient se faire face. Il remercia Arm’Cherk de mettre fin à la monotonie et ordonna qu’on lui prépare son cheval. Il fallait envoyer un éclaireur pour faire le point sur la situation. Il n’aurait pas dû y aller lui-même mais il décida de délaisser son poste car il en avait assez de l’inaction.

Il ordonna à son second :

« Soldat, si je ne suis pas revenu quand ce sablier est vide, va prévenir le Seigneur Athanas. »

Ce dernier, un orcumien d’origine, du nom de Joaquin bin Katze, lui répondit :

« Commandant, le Seigneur Athanas est en réunion avec le Commandeur Atika. Si ce dernier est dérangé par un inconnu comme moi qui, de plus, n’est pas un graméen, il risque de s’emporter et… »

Svold warz Katzar s’emporta :

« Arf… Pourquoi m’avoir donné comme second, un orcumien ? La question n’est pas de savoir s’il te décapite, car cela ne serait pas une grande perte, mais bien de savoir si tu auras le temps de t’exprimer ? »

Il le savait que trop pourquoi Joaquin bin Katze était son second et cela n’était pas dû à ses capacités militaires. Cet orcumien était chargé de l’espionner et de lui enlever toute velléité de pouvoir. Dame Liara se méfiait des graméens trop ambitieux…

« Dans ce cas, fait retentir les cors de Gramée, si je ne suis pas de retour, lorsque le sable aura fini de s’écouler. »

Svold warz Katzar grimpa sur son cheval dont les fers avaient été recouverts d’un tissu résistant pour atténuer le bruit de ses pas. Le sol avait été détrempé par la pluie mais une prudence supplémentaire n’était pas inutile. La seule chose qu’il avait en commun avec Dame liara était leur esprit calculateur.

Il sortit d’Ephyne par une porte dérobée située à l’opposé de la porte principale des enceintes d’Ephyne et chevaucha jusqu’au premier attroupement de soldats.

La pluie avait diminué d’intensité, mais un vent violent couvrait la progression de Svold warz Katzar et lui permettrait de s’approcher suffisamment des troupes sans être entendu. Ce vent violent risquait, par contre, de chasser les nuages et de permettre à la pleine lune d’éclairer ce qui allait devenir un champ de bataille.

Il devait faire vite avant que son stupide second orcumien déclenche l’alerte à Ephyne et que la lumière de la lune trahisse sa présence.

Arrivé à proximité des armées situées les plus proches des enceintes d’Ephyne, Svold warz Katzar attacha son destrier à un arbuste et s’approcha discrètement de façon à observer les troupes. Il put reconnaître les blasons de la cité de Salinia. Il était surpris car il semblait que ces troupes empersoises étaient organisées de façon à protéger Ephyne d’un siège plutôt qu’à l’assiéger. Il était possible que le Seigneur Ginndyz ait rejoint la coalition alliée car la situation politique était des plus confuses malgré ce qu’affirmaient les suppôts du Seigneur Ezald à l’assemblée des seigneurs du Retrahant. Enfin, c’est ce que lui avait dit Dame Liara. Il ne put s’empêcher de penser que la politique était vraiment inutile, les graméens auraient dû mettre à feu et à sang l’Empersiste, ce qui lui aurait épargné cette longue attente à Ephyne.

Il rebroussa chemin jusqu’à l’endroit où il avait attaché son cheval. Le maudit canasson, sans doute effrayé par le tonnerre, avait disparu. Il jura en maudissant le Retrahant dans son ensemble. Il n’aurait jamais le temps de contourner les enceintes d’Ephyne pour y retourner, il se voyait mal aller devant les portes principales et crier qu’on lui les ouvre. Tant pis, les cors de Gramée allaient retentir, l’Unique le voulait ainsi.

Il se dirigea en courant vers le second attroupement qu’il avait réussi à distinguer du haut des enceintes d’Ephyne. Il connaissait la topographie des lieux entourant Ephyne, il l’avait étudiée pour pouvoir organiser la défense de la capitale empersoise. Il avait repéré une petite colline boisée située à proximité de ce second attroupement. De là, il pourrait observer en toute quiétude les autres troupes. Le temps qu’il atteigne cette colline, l’orage prenait fin, la pluie avait cessé et le vent chassait les épais nuages permettant à la clarté de la lune de se répandre.

Caché derrière un buisson, il put distinguer le second campement. Cette fois çi, il ne faisait pas de doutes que ces troupes également empersoises se préparaient à assiéger Ephyne. Soudain, un dernier éclair déchira le ciel et la foudre s’abattit sur un immense platane situé juste derrière lui, le forçant à quitter sa cachette. Malgré la pluie, les parties sèches du platane s’enflammèrent et les troupes assaillantes empersoises purent voir sur la petite colline ce commandant graméen reconnaissable à son armure noire sur laquelle une Ankh rouge était gravée. Cet emblème non présent en Empersiste avait été rendu célèbre par le tatouage sur le front de l’ambassadrice graméenne mais également, quelques années plus tôt, lors du siège d’Ephyne, par les étendards des troupes de Waldo de Narcosis venues soutenir son épouse Léonarda.

Du haut de sa colline, Svold warz Katzar faisait face aux troupes empersoises. Il était persuadé qu’il allait mourir. Il sortit son épée de son fourreau, la brandit vers le ciel et hurla en Graméen :



Au même moment, les cors graméens retentirent du haut des enceintes d’Ephyne et la clarté de la lune révéla la présence d’une armée en face des troupes assaillantes. Le commandant de ces dernières fut sans doute persuadé de se retrouver face à des graméens et ordonna à ses archers d’envoyer une volée de flèche sur les armées barrant la route d’Ephyne. Les archers du Seigneur Ginndyz ripostèrent et les fantassins chargèrent de part et d’autre…

Svold warz Katzar venait de déclencher une bataille entre deux armées empersoises. Il ne demanda pas son reste et profita de la confusion générale pour s’enfuir. Les empersois étaient trop occupés à s’entretuer pour s’intéresser à son cas. Il n’assista pas à la défaite des armées de Salinia qui n’étaient pas préparées à un tel affrontement contrairement à celles du seigneur empersois Vidalkrach qui s’étaient préparées à assiéger Ephyne. Plus tard, il eut l’occasion d’apprendre qu’environ 10.000 soldats de l’armée du Seigneur Ginndyz trépassèrent lors de cette bataille alors que moins de 2.000 soldats du Seigneur Vidalkrach, l’assaillant, furent retrouver sur le champ de bataille.

Svold warz Katzar rebroussa chemin vers Ephyne. Derrière lui, la bataille entre les empersois venaient de prendre fin. Il entendait les gémissements des blessés. Il avait progressé lentement en restant à couvert pour éviter que les troupes victorieuses ne se souviennent de sa présence et que les cavaliers empersois ne viennent mettre un terme à la vie du commandant graméen qui avait été à l’origine du déclenchement du combat fratricide.

Soudain, il entendit à nouveau des cris. Il reconnut les chants de guerre de ses frères graméens. Les hurlements des hommes furent suivis du sifflement des flèches dans le ciel, puis le vacarme, provoqué par le choc des épées, témoigna de l’intensité du combat qui avait lieu. Les troupes graméennes étaient sorties d’Ephyne pour exterminer ce qui restait d’Empersois. Il jura à nouveau, il était trop éloigné pour participer à ce combat. Tout d’abord, cela le frustra, puis ensuite, il pensa qu’il aurait du mal à justifier à Dame Liara, son absence aux cotés des troupes de Narcoria.

Peut-être serait-elle indulgente à son égard ? Quelques jours auparavant aux cotés des armées du commandeur Athanas, il avait réussi la prise de Cortarchy, la ville empersoise du Seigneur Aymerick. Il est vrai que cette ville venait d’être attaqué par les armées du Seigneur Kasterian d’Aevenspeer ce qui limitait un peu sa gloire. Peu importe, Arm Cherk saurait dicter la décision de sa maîtresse. Il accepterait sa décision.

A son arrivée à Ephyne, Svold warz Katzar fut convoqué par Dame Liara. Il se présenta devant elle, son casque sous le bras, laissant apparaître les imposants tatouages noirs qui recouvraient non seulement son visage mais également son crane rasé.

Liara était debout et le dévisageait. Elle paraissait minuscule devant lui.

"Svold, est ce genre de chose que vous avez appris à l’Académie militaire de Yohéli ? Dois-je demander au commandant en chef des armées graméennes Mandorallen qu’il vous trouve un remplaçant ?"

Svold warz Katzar allait répondre mais n’en eut pas l’occasion car Liara poursuivit sur un ton très agressif.

"Au lieu de trouver des justifications inutiles, allez préparer mes armées. Notre intendante Sophrena Osgarth a décidé d’attaquer la cité du Seigneur Vidalkrach qui assiégeait Ephyne pendant que vous vous promeniez je ne sais où. Et, faites honneur à la cité de Narcoria. Avec un peu de chance, vous périrez au combat et ainsi je n’aurais pas à vous tuer de mes propres mains."

Les troupes graméennes de Conte Ilovier, d’Aeron Val'orbe, de Liara et de Sophréna Osgarth purent prendre la cité de Mérardkrog dont les enceintes étaient insuffisamment protégées par des archers. Ils éliminèrent les 6000 soldats empersois qui participaient à sa défense lors de deux batailles. Sophrèna Osgarth qui dirigeait elle-même ses armées rapporta à Liara que Svold warz Katzar avait eu un comportement exemplaire ce qui eut pour effet de prolonger son existence.

Une nouvelle fois, depuis la dernière attaque, Svold warz Katze avait passé de nombreuses saisons à se morfondre dans l’inaction à Ephyne.

Mais, aujourd’hui, il exultait, à la tête des troupes de Narcoria, il venait de repousser une nouvelle attaque contre la capitale empersoise. Plusieurs vagues d’assaut menées par des seigneurs empersois, beilannais et cirannais s’étaient succédées. Les troupes graméennes, dont les armées de Narcoria ne représentaient qu’une infime partie, avaient, certes, subi des pertes mais, sans comparaison, à celles qui avaient été subies par l’ennemi. Ephyne resterait graméenne cette saison encore et l’invasion gaëdienne avait été un cuisant échec.

Une missive lui fut apportée sur le champ de bataille.

« Commandant Svold,

Je vous ordonne de partir sur le champ parcourir l’Empersiste avec mes troupes afin de tester les défenses des villes qui s’opposent à l’emprise graméenne sur Ephyne. Je veux que vous commenciez par celle du Seigneur Kuroro, il semble qu’il soit celui qui ait organisé l’invasion gaëdienne que nous venons de repousser.

Vous savez que je dois quitter l’Empersiste pour me rendre aux obsèques du Seigneur Kasterian dans quelques jours. Vous m’accompagnerez et nos troupes doivent rentrer à Narcoria. Nous ne quitterons pas l’Empersiste sans avoir tenté d’affaiblir nos opposants.

Liara, A’nshal’a de Gramée. »

Svold warz Katze rassembla ses troupes et quitta Ephyne le jour même. Il revint quelques jours plus tard et se présenta devant Liara pour faire son rapport.

"Dame Liara, nos troupes ont rencontré peu de résistance à York Shin, la cité du Seigneur Kuroro, nous l’avons donc pillée. Par contre, les autres cités que nous avons visitées avaient leurs enceintes sécurisées par des archers, nous n’avons donc rien pu tenter. A noter, que la cité de Myrh, du Seigneur Aymerick, ne possède pas de fortification, mais une troupe empersoise trop nombreuse pour nos effectifs avait établi un campement devant cette cité."

Liara eut un très grand sourire.

"Parfait commandant, le Seigneur Kuroro a été châtié. En ce qui concerne, la ville de Myrh, voilà une proie facile pour une armée plus importante. Donnez cette information à notre intendante Sophréna et au Gouverneur Athanas."

Svold warz Katze trouvait étrange de voir sa maîtresse aussi enjouée. Généralement, elle ne se réjouissait pas autant d’un pillage réussi et il ne put s’empêcher de lui demander la raison.

"Il semble que la victoire de nos troupes à York Shin vous procure un bonheur certain."

Liara regarda Svold dans les yeux et eut envie de se confier à lui, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant :

"Svold, le seigneur Ezald était l’opposant principal de ma mère Léonarda, nous l’avons chassé d’Ephyne. Les seigneurs Kuroro, Aymerick et Vidalkrach étaient les seuls seigneurs empersois encore présent en Empersiste qui ont, soit assiégé la ville de ma mère pour empêcher son mariage avec mon père, soit insulté sa mémoire. Mes armées ont pillé leur cité.
Ma vengeance est donc assouvie. Le passé qui ocultait ma vie n’a plus de prise sur moi. Je rentre dans une nouvelle phase de mon existence qui est tournée vers le futur. Je dois maintenant songer, notamment, à assurer une descendance à mon clan, le clan des Narcosis."

Svold rebondit sur la dernière phrase de Liara.

"Le commandeur Atika semble vouloir que vous épousiez le seigneur Aeron de Vasegrise."

Liara rétorqua sèchement.

"Grand maître s’occupe de choses qui ne le concernent pas. J’ai beaucoup d’amitié pour Aeron et parfois l’amitié entre deux personnes de sexe opposé peut, il est vrai, se transformer en amour. Nous verrons…
Au lieu de m’importuner, allez préparer le départ de mes troupes pour Narcoria et tenez vous prêt, nous partons de suite en Aevenspeer pour rendre un dernier hommage au Seigneur Kasterian. "