Ciran s'ouvre.

Depuis plusieurs années maintenant, Ciran était recroquevillé sur lui-même. Depuis le fléau qui avait ravagé tout Retrahant, les frontières étaient restées fermées aux autres contrées, sous ordre de l'Eglise et du Roi. Il avait en effet fallu plusieurs années au pays pour rétablir un pouvoir fort, redresser l'économie, et plus globalement réorganiser la vie du territoire. Cette période fut évidement marquée par le nettoyage des villes, le recrutement de soldats et le massacre des pillards. Ainsi Ciran renaquit de ses cendres, grâce à la Bonté de Gaed et à la determination des Ciraniens.

Désormais le Roi Valkmir Fauste était incontesté, et le peuple le voyait comme un "sauveur". Wilhelm Fauste, son cousin, s'était empressé de reformer une armée digne de ce nom, et les frontières étaient bien gardées. Le Seigneur Enguerrand fut également d'un grand secours dans le reforme de l'économie, qui put se redresser rapidement grâce à ses talents. Mais qu'auraient pu-t-ils faire sans l'Eglise Gaedienne et l'Archevêque Suprême Arshan d'Itoria? Les moines Gaediens furent les premiers à agir en Ciran, ils organisèrent la reconstruction, remirent en état les dispensaires, et portèrent la parole de Gaed dans le coeur du peuple. Leur parole permit de rassurer le pays, et Arshan d'Itoria fut un appui considérable des Fauste pendant les moments difficiles.

Bien sûr l'autarcie était difficle à maintenir, l'on voyait ça et là des marchands Orcumiens, des Empersois fuyant la famine, ou encore des Gaediens Beilannais venus se réfugier... Et cette tendance se généralisa plus le temps passait. D'ailleurs en l'an 330, alors que les frontières n'étaient même pas ouvertes, une délégation Ciranienne fut envoyée à Elderine pour participer aux Joutes. Joutes qui se soldèrent par la mort du Seigneur Enguerrand...

Ainsi, en ce Printemps de l'an 338, l'Eglise et le Roi concluèrent qu'il était temps de s'ouvrir à Retrahant. L'armée était prête, le peuple aussi. Il décidèrent donc de se rendre là où tout avait commencé, au centre de Retrahant, dans cette cité legendaire: Ephyne La Belle.

La grande Assemblée d'Ephyne était restée quasi-déserte depuis l'épidémie, seuls quelques vieux conseillers y somnolaient de temps en temps, et certaines tribunes, dont celle de Ciran, étaient toujours vides. Mais les Joutes d'Elderine permirent de faire revivre la politique, et de tisser des liens entre les territoires. Ainsi lorsque la délégation Ciranienne venue se présenter à l'Assemblée arriva, des dizaines de Seigneurs, moines, conseillers ou autres parlotaient sur leurs sièges.

Les larges portes de La Belle s'ouvrirent un soir de Printemps 338, laissant passer le cortège fait de chevaliers, de voitures et de charettes, drapés de noir et de blanc. Cette arrivée provoqua un grand remue ménage à Ephyne, les Ciraniens n'avaient pas remis les pieds en Empersiste depuis plus d'un demi-siècle. Après de maigres contacts avec l'Intendant Empersois Dertil de Crykas, qui souffrait des poumons, les Ciraniens purent rejoindre des couches et se reposer.

Le lendemain matin, les portes de l'Assemblée s'ouvrirent à leur tour. Le Roi Valkmir Fauste entra, suivi de son cousin, de l'Archevêque d'Itoria, d'autres Seigneurs, de moines, de conseillers et d'autres scribes. Une bonne vingtaine de Ciraniens étaient là. Le petit groupe s'arrêta net en entrant, contemplant la splendeur de la Salle sous ce soleil matinal. Rien en Ciran ne pouvait rivaliser avec cette architecture, pas même la cathédrale d'Ostombe... Puis ils rejoignirent leur tribune, mais Valkmir Fauste ne s'assit pas. Il resta debout devant une estrade. Moment symbolique.


Peuple de Retrahant! lança-t-il en brisant le silence qui avait accompagné son entrée.

J'ai l'honneur de vous présenter Ciran! dit-il en se tournant bras ouverts vers ses compatriotes assis derrière lui. Certains d'entre vous ont déjà été prévenus de notre arrivée, j'en suis sûr. Gaed soit loué, le voyage s'est très bien passé.

Les évènements ayant ravagé ce monde durant ces années ont sauvagement touché toutes nos contrées, et Ciran, comme beaucoup d'autres, a dû fermer ses frontières aux étrangers. C'est pourquoi aucun Ciranien n'était présent ici-même parmi vous. Je suis désolé si la dureté de notre autarcie a pu offusquer l'un d'entre vous, Beilannais, Orcumien, Kandrasien ou Empersois, qui avez essayé de nouer contact avec nous.

Mais je suis en ces lieux pour vous annoncer que Ciran s'ouvre enfin à Retrahant. Nous avons redressé notre pays, Gaed soit loué, et sommes désormais prêts à assumer notre place en ce monde, comme nous le faisions avant.

Vous avez sûrement beaucoup de questions à me poser, et moi de même, mais laissez moi me présenter ainsi que mes compatriotes. Je me nomme Valkmir Fauste, Roi de Ciran, Intendant d'Osmad et protecteur des terres de Gaed. Il marqua une courte pause. Voici mon cousin, Messire Wilhelm Fauste, Général en Chef des Armées Ciraniennes, et à ma droite l'Archevêque Suprême Arshan d'Itoria, Seigneur d'Ostombe et représentant de Gaed sur Terre. A ces mots tout le monde se tut. Arshan d'Itoria était très connu, respecté et parfois craint. Son âge portait en sa faveur et il se contenta d'un signe de tête pour saluer l'Assemblée.

Gaed nous a réunis en ce jour en Paix, et j'éspère que toutes les tensions d'antan ont disparu. Etait-il sincère en disant cela?

J'ai énormément de choses à apprendre, mais je souhaiterais d'emblée féliciter les gagnants des Joutes Kandrasiennes. Le récit de leurs combats est parvenu jusqu'en Ciran, et leur gloire est toujours immense, même après 8 ans. Il me semble que deux Gaediens ont accédé au podium, je les féliciterai plus précisément. Gaed sait gratifier les siens. De nouveau, un silence. Valkmir ne savait qui regarder, il ne connaissait aucun visage, il pouvait seulement reconnaître les couleurs des différentes contrées présentes.

Je suis maintenant prêt à vous entendre, Messires, je suis impatient de connaître vos pensées. Dit-il en souriant et en ouvrant les bras, comme s'il s'attendait à ce que des dizaines d'hommes le questionnent. Mais rien. Personne ne parlait. Faisait-il mauvaise impression? Il portait pourtant ses plus beaux vêtements. N'y avait-il aucun Gaedien dans la Salle? Imopssible, des hommes portaient le Cercle sur leurs épaules... Alors quoi? Il décida de reprendre la parole, plus tôt que prévu.

Messires, pour faire preuve de bonne foi, je suis venu ici avec un objet qui interessera sûrement vos yeux. Wilhelm Fauste se leva alors, et sortit de son fourreau une épée, longue et brillante.

Voici la Lame d'Osmad!! reprit Valkmir. Cette arme, forgée par les plus grands forgerons de Ciran au coeur du Mont Dachri, est sans nul doute la plus redoutable que ce monde connaisse. Légère, tranchante et robuste, cette lame est de qualité ultime. Je doute que vous en ayez de pareilles, et c'est pourquoi je prendrai grand plaisir à vous l'offrir. Wilhelm donna l'épée à un jeune garçon qui fit le tour des tribunes pour la montrer aux Seigneurs présents.

Quiconque voudra en profiter n'aura qu'à me proposer un accord commercial, que je signerai avec honneur. Inutile de vous dire qu'en armant vos paysans d'une telle épée, ils égaleront aisément les vainqueurs des Joutes!! Quelques rires éclatèrent dans l'Assemblée.

Mais le temps passe vite, et je vais devoir repartir. J'ai nombre d'affaires à régler avec l'Intendant Empersois. J'aurai été enchanté de vous rencontrer, et j'espère pouvoir faire plus ample connaissance avec vous une prochaine fois.

Sur ce Messires, je vous laisse en compagnie de mes hommes!! Que Gaed vous garde.

Il salua l'Assemblée, descendit les escaliers de la tribune, fit signe à deux hommes de le suivre et sortit. Toujours dans le silence.

Mélyan de Loye, fils du Baron son père, était arrivé, accompagné de Karsten Aradras et de sa suite, par le plus grand des hasards, juste avant l'intervention ciranienne. Ils s'étaient assis dans des sièges qui durent accueillir d'autres seigneurs il y a un siècle, et Mélyan avait écouté avec beaucoup d'intérêt puis d'appréhension les paroles du roi.
C'était la première fois qu'il voyait un homme de sang royal venir parler au conseil pour faire un peu de réclame autour de son épée... Ces faits avaient marqué le jeune homme, qui se rembrunit significativement.

L'autre point qui souleva son scepticisme et défiance envers le nouveau peuple fut le titre que le roi avait cédé son "Archevêque Suprême" : celui de représentant de Gaed sur Terre... Animé d'une foi moins modérée que son père et sûr de lui et du public qu'il avait (tous les rares habitués le connaissaient, et il ne se plaignait d'aucune animosité), il prit la parole. La dernière fois qu'un Gaedien vint ici même, ce fut pour insulter son paternel d'hérétique... On n'avait donc pas une grande amitié envers les étrangers, aussi proches de l'Intendant soient-ils.
— Seigneurs, pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par "Représentant de Gaed sur le monde" ? Cet Archevêque serait-il un prophète, et non un Archevêque ? J'imagine que vous serez aussi clairs que vous le fûtes pour vos lames.

De retour d’Elderine vers le Delta de l’Elbre, Svold Kastriss se rendit à Ephyne pour voir si cette cité avait réussi à vaincre ce que le territoire de Fironk craignait par dessus tout, l’immobilité. Il fut chanceux, la cité moribonde accueillait l’intendant cirannais et des hommes d’Aevenspeers avec de magnifiques loups. Il apprécia le discours du Seigneur Intendant Valkmir Fauste, cet homme avait l’intelligence de parler commerce en ces lieux plutôt que de parler de conflit guerrier. L’ouverture du Ciran laissait présager la venue d’opportunité commerciale qui favoriserait la prospérité de l’îlot de la Perfidie. Mais malencontreusement, les propos du fils du Baron de Loye ne furent que venin à l’encontre de ces paroles positives. Pour cette raison il décida après avoir défié le père d’affronter le fils à l’assemblée des Seigneurs de Retrahant, en ayant cette sensation qu’Ephyne n’était plus le centre de Retrahant et qu'il perdait son temps.

Jeune homme, personnellement j’apprécie l’intervention de l’Intendant cirannais. Je suis fier qu’un peuple gaëdien ait su produire une épée qui peut être considéré comme ultime. Notre Roy a su également faire forger une épée qui ne pâlit pas à la comparaison des armes de Retrahant.

Je suis surpris de votre réaction. Je pense, en effet, que leur Archevêque est un représentant de Gaëd. Il est vrai que le Seigneur Intendant Valkmir Fauste a omis de préciser "un des" représentants de Gaëd lorsqu’il parlait de son Archevêque dont j’ai oublié le nom. Mais, à moins de penser qu’il n’y a qu’un seul représentant de notre dieu en Retrahant, je ne comprends pas votre réaction.

Je considère que le prêtre gaëdien qui a été nommé par les instances religieuses au niveau du quartier malfamé du port de Catrisis est un des dignes représentants de Gaëd sur mes terres. Il n’en est pas de même de celui qui est issu d’une noble famille perfidienne dans les quartiers bourgeois, mais je vais en parler à la Baronne Enimia pour qu’elle œuvre afin de le destituer.

Valkmir Fauste étant sorti de la Salle juste après son discours, il ne put écouter les Seigneurs ayant répondu. Mais ses représentants étaient là pour ça.

Le moine Aronker laissa parler les Beilannais, s'assura que l'Archevêque Suprême lui laissait la parole, et se leva.

Messire de Loye, - les armoiries de Loye étaient connues en Ciran, c'est pourquoi Aronker reconnut le Seigneur -

Monseigneur Arshan d'Itoria est l'Archevêque Suprême de Ciran.

Comme vous le savez, le Grand Conseil Ciranien rassemble 6 Archevêques, venant chacun de l'une des cités chef-lieu qui sont Osmad, Ostombe, Edelis, Edianis, Helkosis et Halrek. Notre Grand Conseil dirige la religion et se réunit à Ostombe, ville Sainte et emblême du Gaedisme.

Monseigneur Arshan d'Itoria est l'Archevêque d'Ostombe, ce qui lui défère la plus haute fonction religieuse, celle d'Archevêque Suprême. Je ne détaillerai point d'avantage les fonctions de mon maître, mais sachez simplement qu'il est le plus haut responsable du Gaedisme en Ciran.

Mais vous vous questionnez de sa fonction de "Représentant de Gaed", et cela est compréhensible. En ces temps si reculés, bien avant l'apparition du fléau - vous n'étiez même pas né - les Rois Ciraniens étaient considérés comme Représentants de Gaed. Leur chair incarnait Gaed, leur parole était celle de Gaed, leur pouvoir leur était offert par la grâce de Gaed. Ainsi ils ne pouvaient être contestés, ni même remis en question. Cela est logique, qui pourrait ne pas avoir confiance en Gaed?

Alors aujourd'hui, mon Roi Valkmir Fauste devrait incarner Gaed en Ciran, me direz-vous. Mais non, le fléau fut lourd de conséquences. En mettant terme à la vie du Roi Aether de Nivia et à sa descendance, il offrit les pouvoirs royaux à l'Archevêque Suprême Arshan d'Itoria. Ainsi Arshan d'Itoria, en plus de commander le Grand Conseil, reçut des mains de Gaed les pouvoirs royaux. Il incarne donc Gaed tel que le firent les précédents monarques.

Puis, mon Roi ayant fait preuve de bonté et ayant accompli avec perfection ses devoirs envers Gaed, il fut couronné Roi par Arshan d'Itoria. Il occupe donc les fonctions royales. Cependant le privilège d'incarner Gaed ne se transmet d'habitude que lorsque le Roi meurt et que son fils ainé lui succède. Comprennez-vous ceci? Le fait d'incarner Gaed ne peut se transmettre que si mort il y a. Or Messire d'Itoria n'étant point décédé, il gardera ce privilège jusqu'à sa mort. Vous voyez donc, Valkmir Fauste n'incarnera Gaed qu'à la mort de l'Archevêque Suprême.

Le silence régnait dans la salle.

Oh, mais je dois ennuyer l'Assemblée de mes paroles confuses, pardonnez moi. Messire de Loye, le fait d'incarner Gaed ne s'explique ni par le terme de prophète, ni par aucun autre mot. Plusieurs grands théologiens se sont posés sur cette question, sans jamais l'expliquer clairement... La pensée de Gaed est impénétrable.

Enfin, pour répondre à Messire Kastriss - un scrypte lui avait soufflé son nom - je dirais que le fait que plusieurs personnes incarnent Gaed en ce monde ne pourra jamais être expliqué non plus. Cependant en Ciran, et dans le coeur des Ciranniens, l'incarnation de Gaed n'est autre qu'Arshan d'Itoria ici présent.

J'espère que j'ai pu éclaircir vos doutes, du moins une partie. Mais nous ne sommes pas ici pour discuter de religion... Revenons à nos épées!! dit-il avec humour.

Le moine Aronker se rassit, saluant bien bas l'Assemblée et les Beilannais ayant parlé. A ses côtés, un homme d'armes se leva, montra une nouvelle fois la Lame d'Osmad à l'Assemblée, et clama:

Eh bien, cette épée pourtant si belle n'intéresse personne?

Svold Kastriss mit sa main dans les cheveux, il était déçu. Il semblait qu'en langue de bois les suppléants de l'intendant cirannais excellaient. Le jeune de Loye avait peut-être raison, les ciranais pensaient qu'ils étaient les représentants légitimes de Gaëd. Quelle parjure!
Svold n'était pas l'homme, qu'il fallait pour débattre de Gaëd en ces lieux, il préférait fréquenter le monastère héosien que l'église gaëdienne qui resplendissait sur la place centrale de Catrisis. Néanmoins, les Perfidiens avaient pour religion officielle le gaëdisme. Il se devait donc d'intervenir.

Nous en avons cure de votre épée, je suis persuadé que le Royaume de l’Elbre forgera prochainement une épée équivalente grâce à la volonté de notre Roy Drehëran.

Par contre, je ne peux comprendre votre intervention : "je dirais que le fait que plusieurs personnes incarnent Gaëd en ce monde ne pourra jamais être expliqué non plus. " Je vais rapporter cette phrase à la Baronne Enimia, elle en percevra, sans nul doute, le sens. Moi, dont le rang de noblesse est juste suffisant pour m’exprimer en ces lieux, je ne comprends pas vos propos.

Je maintiens que chaque membre du clergé de Gaëd qui officie dans une des églises gaëdiennes est un digne représentant de notre Dieu, Gaëd. Le prêtre gaëdien qui a en charge le quartier malfamé du port de Catrisis a su convertir de nombreux païens à Gaëd et est un guide pour ses paroissiens comme votre archevêque, j'imagine.

Aux mots du Beilannais, l'homme d'arme portant bien haut l'épée se rassit, tel un chien qu'on aurait sévèrement frappé.

Mais le moine Aronker allait encore devoir parler... Cette fois-ci, il resta assis. Avant de s'expliquer, il se tourna vers l'Archevêque Suprême Arshan d'Itoria et lui souffla à l'oreille:

Monseigneur aviez raison, les Beilannais ne pensent pas comme nous...

Puis il se retourna vers l'Assemblée et commença:

Messire Kastriss, puisque vous me forcez à argumenter d'avantage, je le ferai, bien qu'au départ ma présence en ces lieux n'eut point ce but.

Du point de vue Ciranien, l'Archevêque Suprême Arshan d'Itoria est la seule personne à incarner Gaed de tout Retrahant. Tout le peuple Ciranien m'approuvera, et nulle autre personne ne pourra prétendre - du moins en notre pays - avoir ce privilège, pas même le Roi ni les moines.

Cependant nous tous ici savons que le Gaedisme a, avec le temps, pris diverses formes, adopté diverses tendances, qui ont contribué à générer certaines différences entre les peuples Gaediens, notamment les Ciraniens, une partie des Beilannais et certains Empersois. Ainsi ne suis-je point étonné de rencontrer dans cette Assemblée certains Gaediens ne partageant pas mon point de vue.

Libre à vous de ne pas considérer Monseigneur d'Itoria comme le seul être à incarner Gaed, mais ceci est l'opinion incontestée de tout Ciran.

Aronker se gratta la barbe.

Mais il est possible que vous ne distinguiez pas le fait "d'incarner" et de "représenter" Gaed.

Représenter Gaed vise à porter sa Sainte Parole le plus loin possible, à convertir les âmes afin de leur enseigner la Bonté de Gaed. Là-dessus, tout moine Gaedien est un représentant de Gaed, je vous l'accorde.

Mais la notion d'incarner Gaed est bien plus profonde, bien plus obscure.

Alors certes vous avez raison en affirmant que tout moine Gaedien en est un représentant, mais l'unique personne à l'incarner, aux yeux des Ciranniens, est l'Archevêque Suprême. C'est en ce point que le Gaedisme Beilannais et le Gaedisme Ciranien diffèrent.

Bien sûr pour le moine Aronker, toute personne ne considérant pas Arshan d'Itoria comme le seul homme à incarner Gaed n'était pas un bon Gaedien. Mais ça, il se gardait bien de l'avouer.

Svold kastriss apprécia cette fois la réponse du moine Aronker, elle avait le mérite d’être clair.

Tout d’abord, je tiens à vous préciser que je m’exprime au nom de Dame Enimia Sidh et, en aucun cas, au nom du Royaume de l’Elbre. La dirigeante de la cité de Catrisis ne représente pas le Beilan, elle est juste une Baronne du Royaume de l’Elbre. Dans mes propos ne percevaient pas un sentiment général des beilannais concernant le gaëdisme mais plutôt l’avis du peuple Héosien et plus précisément des Perfidiens qui en sont les seuls membres représentés actuellement.

D’autre part, sachez que je suis d’origine héosienne et donc pas le plus apte à avoir une discussion constructive sur la religion gaëdienne avec vous. Les héosiens, comme de nombreux peuples au Beilan ont su conserver certaines coutumes que vous pourriez considérer comme sacrilège vis à vis de notre dieu Gaëd. La plupart des héosiens se sont convertis au Gaëdisme depuis de nombreuses années, mais nous conservons certaines traditions. Disons pour simplifier que nous avons nos propres Saints qui parfois ne sont que des descendants de nos dieux ancestraux.

Néanmoins, je doute que votre archevêque incarne aux yeux des beilannais le représentant de Gaëd en Retrahant. Je vous avoue que, depuis la grande épidémie, les discussions au sein de notre conseil de la Couronne ont peu porté sur l’aspect religieux. D’après certaines rumeurs, certains membres influents au coté du Roy ne sont même pas gaëdiens contrairement à mon peuple, les Perfidiens. Mais, je m’engage à ce que la Baronne Enimia sonde ses condisciples pour mieux cerner le gaëdisme beilannais et sa position par rapport aux gaëdismes cirannais.

Par ailleurs, il est dommage qu’un Seigneur Piedmontais ne veuille intervenir en ces lieux car selon la volonté de notre Roy, ils se doivent d’être des gaëdiens fidèles au gaëdisme beilannais. Mais, au risque de me tromper, chez certains beilannais, l’intendant d’Ephyne est considéré, s’il est de religion gaëdienne, comme le représentant suprême de Gaëd au Royaume de l’Elbre. Ce qui est en opposition avec votre archevêque. Ce que j’espère également ne jamais se concrétiser.

Nous, Perfidiens, pensons qu’aucun homme ne peut incarner notre Dieu Gaëd en Retrahant. Aucun être humain ne peut être à la hauteur de cette tâche.

Svold regarda l’archevêque et il lui fit une marque de profond respect.

Cependant, si votre peuple considère cet homme comme l’incarnation de Gaëd, je ne peux que m’incliner et avoir du respect à son égard. Quel lourd fardeau devant la nature humaine…
Par contre, j’aimerais savoir si un Seigneur Ciranais peut contester sa légitimité car sinon ce noble homme a tout pouvoir envers votre peuple qui est si dévoué à notre Dieu.

Il regarda ensuite l’homme d’arme qui semblait irriter du peu de considération par rapport à la nouvelle épée du Ciran.

Je suis désolé mais la Baronne Enimia prône au Beilan qu’il vaut mieux privilégier le marché intérieur. Elle est contre que les beilannais achètent votre épée même si pour l’instant elle est de meilleure qualité que la notre. Ceci n’engage qu’elle et non son Roy qui décidera. Mais, une nouvelle fois, je ne peux que vous félicitez d’avoir su forger une si belle arme.

Il est vrai, Messire, que pendant longtemps l'Intendant Empersois fut également considéré comme l'incarnation de Gaed aux yeux des Ciraniens. Mais les Seigneurs s'étant succéssivement emparés de La Belle n'ont pas toujours été Gaediens, ainsi ne représentent-ils plus rien pour nous aujourd'hui.

Les paroles de Svold Kastriss concernant la "légitimité" de l'Archevêque Suprême choquèrent légèrement le moine Aronker. Arshan d'Itoria, impassible, écoutait et ne disait rien. Il n'adressa pas même un signe à Svold lorsqu'il lui évoqua son respect.

Ecoutez, comment pourrait-on contester la légitimité de Monseigneur d'Itoria s'il représente dans toute sa personne le Bonté de Gaed? Avez-vous déjà osé reprocher la moindre chose à notre Dieu? Oui, mon Maître à toute autorité sur l'Eglise, et nul ne peut s'opposer à lui lorsque l'on évoque la religion, pas même mon Roi. Le peuple Ciranien est entièrement dévoué à son Roi et à l'Archevêque Suprême. Mais Messire d'Itoria n'a pas tout pouvoir sur le peuple, détrompez-vous, il a seulement entière autorité sur la foi et l'Eglise. Toute autre... forme d'autorité appartient à mon Roi.

Mais alors même au sein de Beilan, le Gaedisme est divisé? Cela m'inquiète, votre Roi ne s'empresse-t-il pas de prêcher la Sainte Parole dans tout le pays, et d'harmoniser la Foi? J'espère en tout cas que ces divergences religieuses ne mettent pas en péril l'équilibre de votre territoire...

Enfin, nous aurons du moins tiré de cette conversation la preuve que le Gaedisme a pris bien des visages avec le temps, je ne pensais pas trouver de telles différences entre nos cultes. Mais qu'il en soit ainsi, nous verrons par l'avenir ce qu'il adviendra de tout ceci.

Le moine Aronker se tut. Cette conversation lui avait appris bien des choses... Qui aurait pu croire que le Gaedisme Beilannais s'éloignait tant du Chemin?

A droite du Général Wilhelm Fauste, un homme se leva.

Et bien Messieurs, bien que l'intervention de mon Roi en ces lieux n'ait engendré aucune discussion commerciale, sachez que Ciran possède d'excellentes armes et que nous les commercialisons volontiers. Si par la suite quelque chose vous interesse, n'hésitez pas à contacter Osmad.

Les questions du moine Aronker sur la légitimité de l’Archevêque plongèrent Svold Kastriss dans ses pensées, il se parlait à lui-même comme s’il avait répondu au moine. « Non, il ne m’est jamais venu à l’idée de reprocher quoi que ce soit à Gaëd, sauf peut-être le naufrage de navires, transportant des marchandises à destination de Catrisis, provoqué par le déchaînement de l’océan. Par contre, j’ai pu constater les déviances de l’espèce humaine, en de maintes occasions. Investir un homme comme l’incarnation de Gaëd en Retrahant et le considérer comme aussi bon que Gaëd était faire preuve d’aveuglement. L’archevêque était un homme qui, comme tout un chacun, avait ses propres faiblesses. » . Mais, bon, à quoi bon tenter d’expliquer à son interlocuteur que Monseigneur d'Itoria était un homme comme les autres.
Il se ressaisit et répondit au moine :

Je ne doute nullement de la bonté de votre archevêque, Monseigneur d'Itoria. Il doit être un homme d’exception étant donné le dévouement que semble lui vouer le peuple cirannais.

Il regarda l’homme qui faisait, de nouveau de la propagande, pour l’épée du Ciran et ajouta :

Vous allez être comblé des routes commerciales permettent aux Seigneurs beilannais d’acheter votre épée. Enfin, heureusement, au prix de 3 retrahs, j’espère qu’aucun Seigneur du Royaume de l’Elbre ne dépensera son argent et lui préférera notre épée, la vénérable.

Puis, en regardant l’ensemble des cirannais présents à l’assemblée d’Ephyne :

Quant à mon Roy, il semble penser qu’il est préférable de profiter de la diversité du peuple du Royaume de l’Elbre plutôt que de tenter de l’uniformiser. Vous n’êtes pas sans savoir que contrairement au Ciran, le Beilan est composé de peuples et de cultures très différents. Tenez pour illustrer mes propos, j’espère que vous aurez l’occasion de rencontrer notre ambassadeur, le Baron Elderan Kar des Glacées et la Marquise Aliénor du Piedmont qui, bien que leurs cités soient assez proches géographiquement, sont si dissemblables. Mais, différence ne veut pas dire division. L’équilibre de notre territoire repose sur notre Souverain.

Cependant, ne vous inquiétez pas, le Gaëdisme reste la religion la plus répandue au Royaume de l’Elbre et y est très respecté. Je suis persuadé qu’un homme tentant de porter atteinte à notre dieu Gaëd serait fortement puni par le Roy Drehëran.

Svold Kastriss fut interrompu par un jeune messager vêtu d’une tunique noire sur laquelle malgré la poussière accumulée durant son voyage, on pouvait distinguer l’emblème, de la Baronne Enimia, l’Ankh bleu. Il lut le message que celui-ci lui remit et reprit :

Voilà, une bonne nouvelle. Les célébrations de l’union entre la Baronne Enimia et le Prince Servant Aectelion, héritier de l’intendance kandrasienne auront bientôt lieu à Elderine, la capitale de Kandrasie. Cette union est bénie par notre Roy Drehëran.

J’en profite pour convier les Seigneurs cirannais et empersois à ce mariage. Il y aura, entre autre, une cérémonie gaëdienne pour le célébrer. Je ne pense pas qu’il y ait d’église gaëdienne à Elderine donc je pense qu’elle aura lieu dans la chapelle de l’ambassade beilannaise. Le Roy Drehëran a choisi un représentant religieux de la cité d’Orgnac pour assurer l’office de cette cérémonie gaëdienne. Pour ceux qui ne connaissent pas Orgnac, cette ville du Royaume de l’Elbre est localisée dans le Piedmont et est le symbole du gaëdisme beilannais, un peu j’imagine, comme Ostombe pour vous cirannais.

Un jeune Kandrasien qui avait appris la fameuse déclaration religieuse faite à Ephyne par une délégation cirannaise, venait à présent d'entrer dans Osmad, du Ciran. Il avait fait le chemin en un rien de temps, pour sûr.
Une fois les troublantes murailles naturelles passées, il découvrit la capitale du royaume des Fauste. Il la visita pendant quelques jours, attendant la venue de l'Archevêque Suprême dans la cité enclavée.
Une fois l'important seigneur arrivé, Tancrède D'Istria s'en alla au château des Fauste demander le couvert et le gîte.
Plus tard, lors d'une assemblée de seigneurs comme on en faisait tant, Tancrède vint rejoindre les membres royaux et supra-cathédraux, accompagné d'un vieil homme vêtu d'une bure usée et d'une jeune adolescente au regard éteint, immobile.

"Seigneur roi, Archevêque Suprême, vous me connaissez peut-être. Je me nomme Tancrède D'Istria, nouveau seigneur du duché d'Istria. Si je viens ici vous importuner, c'est pour une raison simple mais qui me tient à coeur. J'apporte en cette cour une jeune damoiselle kandrasienne, la fine fleur de notre nation. Voyez sa beauté, sentez la pureté de son âme. Pourtant, suite à un accident malheureux, elle devint aveugle, et plus jamais elle ne pourra comtempler les beautés de ce monde. Lorsque je revins de mon éducation du Temple du Marteleur et que j'appris la nouvelle, je fus inconsolable. Je fus son plus fidèle amoureux, lors de mon jeune âge, voyez-vous. Aussi mis-je en branle la totalité des pouvoirs que m'apportait mon nouveau rang de duc. Je rumuai ciel et terre pour trouver un moyen de guérir le terrible handicap de la demoiselle. Je fis venir les plus grands maîtres de Serul, invoquai les dieux et donnai de fortes sommes au Temple vert pour que Ris prenne en pitié sa fille. Rien n'y fit.

Puis vint ce vieux moine gaedien (Il approcha la face bourru de son vieux compagnon). Il me dit que Gaed, lorsqu'il vécut sur Terre avec ses enfants, guérissait les plaies, les maladies et les infirmités. Il me raconta même qu'un jour, alors qu'un fils de Meloï à qui on avait percé ses yeux l'insulta et se défia de sa puissance, il lui rendit la vue et lui fit contempler sa face. Sceptique, rationnel, je lui rappelai, à ce moine, que Gaed n'était incarné par personne sur Terre, mais que si jamais cet homme existait et faisait ce qu'il avait fait il y de cela des siècles, alors je me convertirais et prierais Gaed, comme le fils de Meloï le fit lorsqu'il recouvra la vue.

Monseigneur l'Archevêque Suprême, si je ne m'abuse, tout le Ciran et vous-même prétendez être l'incarnation de Gaed. Vous accueillez donc Gaed en vous, ou, mieux, vous être l'enveloppe corporelle, terrestre, de Gaed. Si cela est vrai, alors, comme dans cette histoire que m'a raconté ce bon moine, vous pouvez guérir cette jeune femme, encore pure et vierge des mécréances du monde.
Si jamais vous accomplissez ce miracle, alors les peuples de Retrahant sauront la vérité, et moi, qui suis un des parents de la famille royale kandrasienne, plierai genou devant Gaed incarné."

L'archevêque écouta le discours du jeune kandrasien aussi distraitement qu'il l'avait toujours fait en ce qui concerne l'extérieur depuis que la politique avait repris cours en cette ère nouvelle. Mais quand ses yeux se posèrent sur la jeune demoiselle, son regard habituellement si dur s'adoucit. Pour la première fois le Gaëdien se leva de son imposant siège.
Assis, son ample toge masquait ses traits et ses formes. C'est pourquoi, la taille imposante et la musculature de l'homme en pleine force de l'âge surpris ceux qui ne l’avaient jamais vu. Ses traits durs, son corps de guerrier contrastait avec ses habits pieux et son rôle pontifical, lui donnant un charisme puissant.

Sans un mot, il se rapprocha de l'aveugle. Lui tournant autour, il inspectait avec une extrême attention cette dernière. Puis, lui prenant la main comme un père l'aurait fait, il l'attira dans l'antichambre.
Une heure passa, et, à son terme, l'archevêque en sortit en sueur, déclarant de vive voie :

"M'en voilà bien attristé, mais cette jeune damoiselle n'est plu... n'est point vierge, et seule la pureté est voie de miracle."
Quand il vit l'assistance à l'air ébahie, il répondit à son interrogation tacite de cette manière :
"A partir de ce jour, chacun saura ce qui différencie Dieu des hommes."

Sur ces mots, il fit signe au kandrasien que leur entretien était terminé.

Alors que défilait devant le visage interdit de Tancrède un lit littéralement rompu en deux parties, le duveteur et l'officiant des littières se couvraient de poussière en gémissant des "pas encore" ou des "c'est inhumain".

"Mmmmh il est tard!!" lança le Roi Valkmir Fauste en s'étirant sur son trône.

"Monseigneur d'Isaria, je vous souhaite bien du courage!!"

Il se leva, et sortir de la salle en sifflotant.