Le retour au paysCela faisait maintenant plusieurs mois que les chevaliers Kandrasiens avaient quitté les terres désormais désolées de Catrisis. Hélas, malgré le sentiment de victoire et de vengeance accomplie, le moral était loin d’être au beau fixe. Tandis que les hommes d’armes rentraient à Elderine, leurs sacs remplis de prises de guerre, parlant de leurs exploits personnels et ne souhaitant plus désormais que retrouver leur foyer et leur vie tranquille, les chevaliers, eux, avaient le visage sombre et fermé. Un sentiment de honte couvait dans leur cœur, celui d’avoir bafoué les préceptes de la chevalerie et du kaerisme lui-même. Mais une question leur venait à l’esprit : leur Régent, ancien Capitaine de l’illustre Fiera Erelian, les auraient ils laissé commettre ses infamies ? Par Erelian, non ! Il incarnait la Kandrasie et ses valeurs, la force, l’honneur, le courage et la vengeance. Et il s’était battu à leurs côtés, leur cause ne pouvait être que juste… A la bataille, oui. A la bataille, il n’y a plus que frères d’armes et ennemis. Mais des rumeurs parlant de l’ordre d’achever les blessés ennemis planaient dans les têtes. Et encore, la prise de Catrisis ? Du sang partout. Des cris, des épées qui transpercent la chair, des morts. Des femmes, des enfants, des hommes désarmés. Etait-ce cela la chevalerie ? Les chevaliers Elderins avaient vu leurs hommes d’armes commettre l’irréparable sous leurs yeux. Pire, on racontait que l’Intendant avait fait pendre des innocents. Etaient ils Arkspel ? Oui, c’est ce qu’on leur avait dit. Mais tous ces gens, dans la cathédrale ? Et les bâtiments en flammes ? Etait-ce… Kareen ? Qu’en penserait Erus lors de la dernière rencontre ? Non. Le Régent les menaient, leurs actes étaient forcément bons.
C’est ainsi qu’ils traversèrent Empersiste, pour retrouver leurs foyers. Ils arrivèrent à Elderine en milieu d’après midi, un jour de printemps. Les neiges tombées fondaient doucement, et les troupes avançaient sur les routes déblayées. Elderine. Ses hautes murailles et les toits de ses plus hauts bâtiments étaient encore couverts de neige. Le Quel’Tan était encore blanc. Bientôt, une trompette sonna sur les murs de la capitale.
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Kalmor était en position depuis la matinée. Il faisait froid, et patrouiller sur les murs lui engourdissait les muscles. C’était son tour de patrouiller, tandis que les autres se réchauffaient au cor de garde. Par This ! Pendant que je me gèle la moelle des os, ces salopards ripaillent au chaud ! Une bonne This Caraïne, et on se sent tout de suite mieux. Plus qu’une heure. Pensa-t-il. Alors qu’il regardait les champs et les plaines gelées devant lui, son regard fut attiré par une masse de couleur contrastant avec la neige alentours. Les rayons du soleil se reflétaient sur eux. Il écarquilla les yeux. Plus aucun doute ! Le Régent était de retour ! Kalmor se saisit de son cor de ses doigts engourdis et le porta à ses lèvres. Il y sonna plusieurs coups, et ses camarades le rejoignirent.
« Le Régent est de retour ! leur cria-t-il. Allez prévenir l’Intendant ! »
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Les chevaliers pénétrèrent dans la cité. Ils passèrent sous la lourde porte de belte et d’eria, et débouchèrent sur une grande place, où les attendaient une foule compacte d’Elderins criants, jouant, touchant les chevaux et les chevaliers, lançant des fleurs de printemps. Les premiers à entrer furent les chevaliers d’Elderine. Puis ceux des seigneuries alentours, sous la tutelle d’Elderine, et le gros de l’armée. Les troupiers, de métier ou non, mélange hétéroclite de
soldats de la couronne* et
d’hommes d’armes*. Ils y revoyaient pour la plupart leurs familles, et la joie emplit rapidement la cité. Enfin, les portes se refermèrent derrière une dernière poignée de chevaliers. Les hauts nobles d’Elderine, les chevaliers issus des familles de Prism les plus influentes d’Elderine. A leur tête, le Régent Calmanan.
Ils remontèrent jusqu’au Palais de la Reine, ou ils furent accueillis par la cour et l’Intendant, alors en charge du royaume car le Régent guerroyait. Les troupiers reprirent leur rigueur militaire et prirent place en régiments serrés sur l’immense place de This, cœur de la cité, place royale se trouvant devant le Palais. Les chevaliers formèrent les rangs à leur tour, et enfin les hauts Prism arrivèrent. Ils traversèrent les rangs jusqu’aux portes d’Eria bardées d’or du Palais, et mirent pied à terre. Alanor contempla alors la toute beauté de la cité… Celle de ses ancêtres, fondées il y a plus de cinq cent ans. L’héritage du héros Elias. Il regarda le Palais. Sur marches se trouvaient toute la cour et l’Intendant qu’il avait placé en son absence. Un second. Un homme capable, mais pas assez influent. Alanor l’avait choisis car il ne représentait aucun risque pour sa propre souveraineté. Il tourna le dos au Palais et regarda le peuple et son armée.
« Elderins ! Kandrasiens ! Aujourd’hui est un grand jour. C’est un jour de victoire, et de fête. Plus jamais, l’ennemi Arkspel ne sera une menace pour nous tous ! Que tous les Dieux en soient témoins ici ! Nous, Kandrasiens, avons vaincu ! »
Acclamations. Depuis plusieurs années, la populace ne désirait plus qu’une chose, la vengeance. C’était chose faite. Avait-elle été soufflée par Calmanan, ou couvait-elle réellement les cœurs et n’avait il fait qu’allumer la mèche pour que tout s’embrase ? Une chose était sure, le peuple le soutenait, désormais. Et les nobles influents de la cour, aussi. Il leur avait montré qu’il était capable de mener une guerre. Mais il craignait que ceux-ci lui demande désormais la restitution des terres annexées par l’Aevenspir. Il lui fallait le soutien de l’armée pour tenir tête aux nobles.
« Pour fêter cela, j’organiserai ici, à Elderine, et durant un mois, la plus grande fête que Kandrasie ait connu ! Nous rendrons grâce aux Dieux, et aux morts victorieux ! Pour la Reine, et pour Kandrasie ! »
Les chevaliers dégainèrent leurs épées et reprirent la dernière phrase. Alanor régnait par le peuple et par l’armée, il le savait. Les nobles lui faisaient dure opposition, et même les grands seigneurs de toute la Kandrasie n’étaient pas tous d’accord avec sa politique. Qu’importe ! Il avait le peuple avec lui ! Il tourna le dos à la foule et gravit les marches, suivit par les hauts Prism vainqueurs, sous une pluie d’éloges hypocrites et toutes plus ridicules les unes que les autres. Enfin, il arriva devant l’Intendant d’Elderine. Celui-ci s’inclina devant Calmanan.
« Mon Régent, je suis heureux de vous voir de retour, et victorieux de surcroît. »
« Je sais Edenor, je sais. Allons, donne deux
quinte* aux soldats, ils le méritent. Je suis las, qu’on ne me dérange pas avant demain. »
« Bien mon Régent. »
Et ainsi se déroula le retour des chevaliers Elderins.
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*les soldats de la couronne sont des hommes entraînés et payés par le pouvoir en place. Ils sont en général des gradés intermédiaires, comme des sergents, ou des vétérans de plusieurs campagnes.
*les hommes d’armes sont des Trism et Reism recrutés avant un conflit. Ils sont armés correctement pour la plupart, mais ne dispose de presque aucun entraînement. Le plus souvent, ils sont formés durant les voyages par les soldats de la couronne et sur le champ de bataille.
*un quinte est une demi semaine de repos chez les militaires Kandrasiens.