[Ciran] Deux morts de trop

Voilà six mois que les troupes du seigneur Wilhelm avaient tué deux éclaireurs du seigneur Selden qui stationnaient dans une auberge en dehors des murs de Halrek.

L'enquête était au point mort : le seigneur Wilhelm prétendaient qu'une bagarre avait éclaté, mais les circonstances exactes de l'incident restaient inconnues. Après audition du tenancier de l'auberge par le préfet de la ville, il s'avéra qu'en effet une bagarre avait bel et bien éclaté, bagarre dans laquelle les hommes du seigneur Selden étaient mort. Mais les témoignages se contredisaient quant à ce qui s'était réellement passé : d'aucuns disaient que les hommes d'Ostombe étaient ivres et avaient provoqués les Helkosiens, tandis que d'autres affirmaient que ces derniers avaient insulté les envoyés de l'Archevêque, les traitant de suppôts de Meloï (outrage suprême pour des soldats du Grand Archevêque de Ciran).

Un tel évènement pourrait paraître banal dans d'autres contrées, mais en Ciran on ne versait pas le sang impunément. À tel point que le Grand Échevin lui-même avait prise l'affaire en main. Celui-ci avait demandé des explications au seigneur Wilhelm, mais le ton sarcastique qu'avait employé ce dernier n'avait entraîné qu'une suite de missives de plus en plus acerbes et provoquantes.

L'aversion des habitants de Halrek pour ceux de Helkosis ne datait pas d'hier. Ces derniers, contraints à vivre avec les rebelles de la forêt d'Helkoï, étaient connus pour être bourrus et violents, au contraire des habitants de la cité portuaire, plus progressistes à cause des nombreux contacts avec des gens d'outre-mer.

C'est ainsi que le Grand Échevin n'appréciait guère le ton employé par messire Wilhelm - d'autre part ancien bras droit du roi Valkmir Fauste, dit Valkmir le Fou ou Valkmir le Sanguinaire -, et ne pensait pas que des hommes venant de la cité la plus sainte de Ciran, qui plus est des soldats, aient pu se laisser aller à l'ivresse. Il hésitait : le dirigeant d'Helkosis cherchait-il réellement à le tester, ou était-il simplement idiot ?

Les autres seigneurs de Ciran restaient muets, même messire Selden, pourtant premier intéressé dans cette affaire. Messire Montaigne avait décidé d'attendre, le temps était le meilleur conseiller à ce qu'on disait.

Ilaak était plus qu'agacé. Il avait eu vent de cet incident, mais après avoir passé des heures à lire les missives de seigneur de toutes origines se plaignant de visites imprévus d'éclaireurs se déclarant de la cité d'Halrek. Bien que les plaintes furent quelquefois accompagnés de menaces, Ilaak n'y avait porté que très peu d'attention, le Ciran étant un territoire bien trop puissant pour que quelques seigneurs viennent l'assiéger avec pour simple raison une visite incongrue.

Mais il y avait eu cet incident mineur. Quelques hommes, surement tourmentés par l'hiver violent et échauffés par l'alcool. Soit. Un incident comme l'on en comptait tout les jours. Seulement ces deux populations ne s'appréciait guère, mais les serments qui les liait à Gaed et à Osmad étaient les mêmes, et ainsi la cohésion était respecté.

A contrecoeur, il envoya une missive aux seigneurs de son territoire, rappelant les fautes de chacun en espérant qu'il n'aurait pas à investir autre chose que sa plume dans cette affaire. Il avait bien d'autres projet en tête pour ce préoccuper de telles inepties.

L'Archevêque Dylan Selden d'Ostombe commençait à éprouver quelque mauvaise humeur envers les sires Wilhelm et Montaigne, ces deux derniers semblaient se morfondre dans leur conflit personnel autour d'une histoire qui ne concernait en tous les cas pas l'ensemble du territoire. Helkosis avait bien évidemment reçu une demande d'explications sur ces évènements et Dylan Selden ne négligeait aucunement l'affaire mais l'absence de débats houleux et stériles sur place publique semblait faire penser à Halrek que le Grand Archevêque d'Ostombe ne portait pas au problème l'importance voulue.

Les rapports reçus à la cité sainte du Ciran faisaient état d'une violente bataille déclenchée par plusieurs centaines de lames contre deux représentants d'Ostombe en mission religieuse. Les évènements étaient suffisamment graves pour nécessiter une enquête apronfondie : l'autorité d'Ostombe n'était jamais une source de plaisanterie d'auberge et certains feraient bien de s'en rappeller.

"Devant l'absence de réponse d'Helkosis et l'insistance on ne peut plus suspecte d'Halrek, une inquisition est imposée par le Grand Archevêché d'Ostombe contre ces deux cités. Les principaux concernés devront répondre de leurs versions des évènements devant un tribunal religieux formé des plus hauts représentants de Gaed."

L'archevêque se tourna vers le prêtre de Gaed qui inscrivait ses décisions sur un parchemin et, tout en signant l'écrit, réfléchit à la manière dont se déroulerait l'enquête. Les récents évènements avaient montré le peu de respect qu'inspiraient les envoyés d'Ostombe aux hommes d'Helkosis, il faudrait donc plus qu'une simple délégation pour leur faire comprendre le point de vue du Grand Archevêché.

"Envoyez deux compagnies de lames à Halrek et Helkosis, je tiens à ce que ces discussions se déroulent dans le calme innérant à toute enquête religieuse. Ces hommes doivent répondre devant Gaed de ces évènements."

Le préfet l'avait interrompu en pleine séance du conseil échevinal. Les troupes responsables du champ de tentes que Montaigne contemplait à présent le long de la route d'Osmad étaient arrivées d'Ostombe le matin même, pour être rejoint quelques heures plus tard par les troupes royales.

Le Grand Échevin n'appréciait guère la tournure que prenaient les évènements, la façon dont il était à présent convoqué au banc des accusés. Il était tout à fait prêt à coopérer dans cette affaire, mais il n'était aucunement question pour lui qu'il se présente devant l'inquisition, ce ramassis de vieillards séniles et grabataires, et cela il l'avait fait savoir (qu'il ne se présenterait pas, pas ce qu'il pensait).

Afin d'éviter tout autre mort accidentelle, il avait envoyé un détachement de cavaliers patrouiller dans le champs de tentes, c'est tout ce qu'il pouvait faire en attendant des nouvelles de l'Archevêque et/ou du Roi. C'est donc à contrecoeur qu'il quitta les remparts pour regagner la citadelle.

Le Haut Archevêque Selden se déplaça en personne d'Ostombe pour s'entretenir avec les dirigeants d'Halrek et d'Helkosis. Suivant l'avis de ses plus proches conseillers il avait choisi de fléchir sa position et de s'entretenir avec les deux seigneurs avant de les soumettre à l'inquisition. Il lui fallait des réponses et la manière lui importait peu. Messire Wilhelm semblait une fois encore plongé dans un mutisme plus que déplorable et c'est donc tout naturellement que l'Archevêque se rendit chez le Grand Echevin si connu des territoires périphériques au monde de Gaed pour les visites intempestives de ses émissaires.

Le chevalier de Lapointe l'accueillit dans une tente élevée rapidement autour d'Halrek, il l'invita à s'asseoir dans un confortables sièges et s'enquit de son voyage depuis Ostombe, lui faisant ensuite un bref rapport des récents évènements. La compagnie qu'on lui avait confié s'était mise en route dès que les ordres religieux avaient été donnés et n'avait guère traîné en chemin, limitant les haltes au strict minimum. Les troupes royales avaient rejoint le détachement assez tôt dans la matinée mais on attendait toujours une prise de contact de leur commandant qui ne semblait guère pressé d'expliquer les raisons de sa présence.

"Je vous félicite pour le déploiement de votre compagnie, chevalier, je ne souhaite pas que nous nous éternisions plus que de rigueur ici mais il est nécessaire que chacun comprenne que l'on ne badine pas avec l'autorité de Gaed. Faites envoyer un messager à Montaigne et au commandant des troupes royales, je me rendrai moi-même m'entretenir avec le Grand Echevin. Si ses réponses m'apportent satisfaction vous pourrez rejoindre Ostombe plus rapidement que prévu."

Il afficha un sourire quand son interlocuteur lui apporta un verre de vin et s'empressa de le déguster en observant le remue-ménage déclenché par ses directives.

Cela faisait plusieurs mois que les troupes royales et de l'archevêque campaient devant les murs de Halrek. Le Conseil échevinal de la cité avait reçu Monseigneur Selden, lui fournissant le rapport établi par le préfet sur l'incident.

Mais la situation traînait, s'enlisait, et la présence de milliers de soldats nuisait au commerce. Cette inactivité était bien le signe d'un désintérêt total des partie pour cette affaire. C'est ce qui poussa le Grand Échevin à proposer un ultimatum au Conseil Échevinal, ultimatum qui fut approuvé à une large majorité.

Ainsi Halrek sommait le Roi et le Grand Archevêque d'évacuer leurs soldats, car leur présence était jugée illégale par les lois de la cité. S'ils ne levaient pas le camp avant le printemps, les soldats seraient considérés comme hostiles à la cité portuaire, et traités en conséquence.

L'ambassadeur s'impatientait. Il était la depuis trop longtemps, alors qu'il devait juste assurer l'ordre et le bon déroulement du jugement. Seulement la conclusion se faisait attendre depuis trop longtemps.
C'est pourquoi, lorsque le messager de l'échevin lui annonça que leur campement était illégal, il faillit perdre la complète maitrise de lui et tuer le messager sur place. Après avoir rengainer son épée, il déclara à un héraut tremblant que les armées royales n'était illégale nulle part au Ciran, que cela plaise au dirigeant sur place ou non. Mais il lui fit tout de même part de sa propre impatience, déclarant que de toute façon le détachement ne resterait pas beaucoup plus longtemps, étant donné que si aucune décision n'était prise la saison suivante, alors l'affaire serait déclarée close.

Comprenant la réponse de l'ambassadeur, le Grand Échevin lui écrit une missive de sa main propre :

légitime

Le Haut Archevêque Dylan Selden, après un long conciliabule avec ses conseillers, décida de lever ses investigations du côté d'Halrek, l'affaire semblait close concernant les lieux qui avaient suffisamment été piétinés par quelques centaines de soldats royaux et religieux pour que l'on puisse considérer comme fortement improbable la découverte de nouveaux indices.

Le dignitaire était plutôt embarrassé, le seigneur Wilhelm ne répondait pas aux missives mais on ne pouvait tout de même pas mettre le Ciran à feu et à sang pour deux émissaires. Certes il s'agissait d'Ostombe mais tout de même.

Helkiosis se trouvait depuis de nombreuses saisons encerclée par les troupes royales et d'Ostombe mais visiblement sans aucune réaction du dirigeant de la ville. Ce dernier semblait s'être murré dans un silence étrangement pesant qui devait probablement être très mal jugé par la population de la cité aux activités plus que compromises. Le Haut Archevêque n'y pouvait pas grand chose, ses envoyés avaient été assassinés par l'armée de Wilhelm et ce dernier semblait prêt à protéger les responsables jusqu'au bout, refusant le dialogue et ne s'interrogeant même pas sur la présence de telles armées juste sous ses murs.

Après diverses entretiens avec les instances inquisitrices et l'envoie de quelques messages à l'échevin, l'ambassadeur décida que l'armée royale n'avait plus rien à faire devant les cités d'Helkosis et d'Halrek, l'affaire étant close pour les instances royales. Laissant tout de même un observateur, pour éviter que ce genre de problème se reproduise, les hommes du roi pouvait enfin rentrer chez eux, l'affaire close.