Famille de Lougevelles

La seigneurie de Kern, automne 421 Ere 2

La seigneurie de Kern, située à une ou deux heures de marche d’Ephyne la Belle, se dessine sur les cartes d’un simple effleurement de la plume. Des terres éparses et peu prospères bordées au Nord par une forêt dense et peu praticable et au sud par une de ces grandes traverses menant à la Belle, la brillante et étincelante capitale du monde de Retrahant. Il n’existe d’aussi loin que je m’en souvienne qu’une seule manière de joindre le cœur de la seigneurie : le sang des chênes. On l’emprunte en venant d’Ephyne, percevant en lui un certain mystère, il paraît réfléter à travers sa frondaison une impression d’accueil et de chaleur si particulière que l’on ne peut qu’être sensible à l’appel. Quelques pas et la végétation nous entoure, quelques autres et les cavaliers doivent mettre pied à terre, gênés par les branches leur fouettant le visage. En hiver le vent s’engouffre dans le chemin et fait frémir les feuillages en sifflant des murmures encourageants. En été les rayons du divin se frayent un passage parmi les glands et les floraisons, éclairent les racines des chênes bordant les chausses, bottes ou sabots des voyageurs. Il ne faut guère plus d’une heure pour sortir du sang des chênes, chemin envahi par leurs racines centenaires.

Les lieux qui s’offrirent à mon regard lors de mon premier passage sont restés dans ma mémoire, non par leur beauté ou je ne sais quelle grandeur poétique mais simplement par leur tranquillité et le calme de leur arrangement naturel. Un cartographe aurait grimacé, sorti une décoction d’un flacon jauni par les âges et trempé une plume récemment taillée : un simple point bleuté ajouté sur son parchemin, le lac des Dames. Mon oreille n’a pu recueillir grande révélation sur l’origine de ce nom mais des légendes errent comme des fantômes, fleurissant au gré de l’humeur des vieilles paysannes n’ayant d’autre occupation que d’échanger leurs commérages avec de jeunes enfants émerveillés. Peut-être écrirai-je un jour quelque ballade sur ces légendes mais elles ne pourront réellement faire revivre les multitudes de poissons s’échangeant leurs bulles entre deux coups de nageoire, les reflets du soleil sur l’étendue profonde de plusieurs pieds et la petite île au centre du lac, n’attendant qu’un visiteur pour dévoiler sur quelques mètres des rochers abruptes et des arbres aux branches fléchies. Ce sont des images, ce sont des sons, ce sont des odeurs qui assaillent mes pensées quand je tâtonne à la recherche de souvenirs alors que puis-je faire pour les faire renaître en mots ou en musique ? Ce ne serait que briser le charme.

La seigneurie de Kern est sous la souveraineté de la famille de Lougevelles depuis près de trois cent ans. Les livres du petit monastère à l’écart du village illustrent que Louis de Lougevelles, premier seigneur de Kern, fût autrefois respecté et admiré de tout l’Empersiste, aujourd’hui … uniquement de quelques uns de ses descendants. La famille, propriétaire de l’ensemble des terres, assoie sa protection et sa souveraineté sur quelques deux cent âmes, paysans, forgerons, artisans divers et soldats de métier. Les habitants vivent dans des bâtisses autour du donjon familial tandis que de hauts remparts encerclent les lieux. Un manoir, jouxtant le donjon, abrite les Lougevelles depuis plusieurs générations, à l’écart de la population et du donjon mais toujours dans l’enceinte du village.