Sous les murs d'Elderine

Le vent faisait battre l'étendard de la blanche tandis que de noirs nuages s'ammoncelaient. Elderine, bastion de l'honneur et de la chevalerie, était en proie à l'incertitude et à l'incompréhension.

Les troupes Gaediennes se massaient devant les murs de la ville. Dylan Selden, dans sa soif de pouvoir, venait rallonger la liste des braves morts au combat, sous prétexte qu'un homme avait fait l'irréparable.

Mais une fois de plus l'honneur Kandrasien était mis en valeur. Là où les Kandrasiens trouvèrent la force de pardonner au peuple Orcumien, Dylan laissait sa haine plonger le monde dans de nouveaux ténèbres.

Traversant la ville au galop, Dinivan se rendit aux portes de la première enceinte. De tout côtés, les Kandrasiens se préparaient à mourir au combat, le coeur plein d'une juste ferveur pour leur pays et leur cause. Les enfants participaient également aux préparatifs, et la vue de l'un d'eux destabilisa le régent... Son neveu avait le même âge...

Son armure étincelante et son épée battant son flanc, le régent demanda aux hommes en poste d'ouvrir les portes. Ses seigneurs et lieutenants accompagnaient leur monarque. Chevauchant vers les troupes ennemies, les hommes espéraient encore pouvoir éviter le pire.

Une déléguation ennemie vint à leur rencontre. S'avançant, Dinivan prit la parole. Sa récente maladie rendait sa voie faible même s'il tentait de le dissimuler...

Seigneur, cette folie est allée trop loin... J'admet l'entière responsabilité des actes de feu Nidolius, et je déplore ce gachis de vies humaines. Mais la guerre ne les ramènera pas ! Le seigneur Shaab est maintenant mort, mais il vous a présenté mes regrets et votre fureur est injustifiée. La récente maladie qui m'accable m'a empêché de me rendre à la Belle...

Mais peut-être n'est-ce plus un nom approprié... Avec pareil procédés, la décadente conviendrait mieux. Je le concède, vous sortirez vainqueur de ce combat. Mais j'ai toujours oeuvré pour la paix, et le respect des traditions Kandrasiennes. Si vous attaquez, nous mourrons tous aujourd'hui mais au moins, ce sera l'âme en paix, pouvez-vous en dire autant ?

Je ne souhaîte rien tant que la paix, mais je suis Kandrasien et je ne crains ni la mort, ni le combat ! Si je dois mourir aujourd'hui alors ce sera couvert d'honneur au plus fort de la bataille. Mais une fois encore, je viens afin de ramener les votre à plus de sagesse. J'estime que le sang a suffisament coulé entre nos deux peuple ces dix dernières années. Car aussi puissant que vous soyez, Elderine ne tombera pas sans combattre ! La guerre n'est pas la seule voie et j'espère maintenant vous ouvrir les yeux sur ce fait...

Ilaak eu un sourire narquois quand le discours kandrasien se termina. Il prit la parole le premier, réaffirmant ainsi son autorité.

Ainsi l'arrogance d'un kandrasien n'a de fin qu'à sa mort ! Vous venez ici négocier votre vie, et vous osez nous insulter, vous osez menacer la sérénité de nos âmes ?

Allons kandrasien, votre amour pour la paix ne se fait-il donc paraître que lorsque votre ville est assiégée par plus puissant que vous ? Vos actes passés révèlent plus que vos paroles présentes, ainsi je n'ai aucune confiance en vos désirs de paix.
Votre si chère Kandrasie tombera Sire Dinivian, et vous mourrez dans cet honneur puéril que vous chérissez tant.

Qu'il en soit ainsi, seulement je vous demanderez d'épargner les civils... Ils ne représentent aucun risque et même si nous sommes ennemis ils méritent votre respect autant que nous vous respectons.

Ilaak, vous êtes l'homme derrière tout ses complots, et c'est une fois de plus Ciran qui récupèrera les morceaux je présume ?

Toute votre pitoyable existence n'aura été qu'une suite de traitrises, mais l'occasion m'est donnée de voir votre courage Gaedien. Nous nous retrouverons sur le champs de bataille en ce cas.

Tournant bride, Dinivan et ses hommes firent demi-tour...

Avant que Dinivian s'en aille, Ilaak lui fit une courte réponse, toujours avec ce léger sourire narquois.

Dinivian, je suis l'homme de beaucoup de choses, mais surement pas celui du comploteur. Toutes mes actions jusqu'alors ont été guidées par la foi et la justice, et seul Gaed m'a inspiré. J'ai d'ailleurs toujours eu son soutien, preuve en est que jamais je n'ai perdu une bataille. Mais vous devez déjà le savoir, ce n'est pas la première que nous nous rencontrons sur le champ de bataille.

Je fus clément alors, mais je ne referais surement pas cette erreur.

Puis, se rappelant de sa requête : Oh, et ne vous inquiétez pas pour vos gens. Nous ne sommes pas des monstres, pas comme vous autres kandrasiens, qui vendent les seigneurs Orcumiens comme du vulgaire bétail...

Un lieutenant Empersois, qui avait défendu Ephyne du temps où il n'était qu'une jeune recrue et qui avait autour de lui quelques amis fidèles, archers de surcroit se prit à rêver entendre le bruit sec des arcs se détendant pour lancer leurs traits meurtriers sur la noblesse Kandrasienne.

Malheuresement, l'ordre ne vint pas, et l'envie de voir ce Kandrasien mort était moins forte que celle de rester en vie. Il rongea donc son frein en attendant l'assaut final.

Hernander de Lougevelles avait été nommé par Dylan Selden Commandeur des Sentinelles de Gaed ; regroupement des armées ayant répondu à l'appel d'Ephyne. Il se tenait sur les hauteurs surplombant la Blanche et observait la disposition des troupes avec un intérêt particulier, aboyant régulièrement des consignes à ses aides de camp qui s'empressaient de distribuer ses ordres. Les Sentinelles de Gaed étaient nombreuses, bien trop pour permettre une coordination parfaite et c'est finalement avec quelques jours de retard que les ciraniens avaient rejoint les troupes empersoises au pied de la ville tant redoutée.

Une bataille avait déjà eu lieue, des kandrasiens s'étaient retrouvés massés entre les épaisses murailles et les gaediens. Les kandrasiens devaient estimer ne pas avoir le temps de rentrer leurs hommes sans compromettre la sécurité de la ville : ils avaient préféré charger. Une charge bien inutile alors que les troupes du seigneur Märkus de Tyrswôl, premières arrivées sur les lieux s'étaient écartées pour laisser aux défenseurs la possibilité de regagner Se Ina. Les gaediens furent pris un peu au dépourvu mais les archers d'Ephyne et des cités empersoises se reprirent bien vite en lâchant quelques slaves salvatrices ; les troupes chargèrent ensuite à la rencontre des kandrasiens et bientôt tout fut terminé. Pour la première fois depuis la libération d'Ephyne, les gaediens faisaient couler le sang hors de leurs terres. Ils avaient déjà repoussé deux invasions kandrasiennes sur la Belle, deux bains de sang ayant laissé de nombreuses rancoeurs de part et d'autre. Il fallait désormais s'assurer que cela ne se reproduise plus.

Les ciraniens parvinrent aux abords des retranchements empersois alors qu'on ne les attendait plus. Des messagers avaient prévenu de leur départ tardif et les hommes de la maison d'Itoria semblaient avoir en plus été retardés en chemin mais ils étaient bien là et firent face à l'assaut d'une armée fironkoise de passage. Décidément on trouvait de tout dans ces régions éloignées.

"- Messire de Lougevelles, les portes de la Blanche s'ouvrent, un petit groupes de cavaliers s'approche de nos lignes : des parlementaires.
- Votre Excellence d'Itoria, Messires Asclepior, Lotris, Korrak, Ceniver et Märkus, désirez-vous vous joindre à moi pour rencontrer ces ambassadeurs ? Messire Varin, si vous avez quelque temps à perdre peut-être pourriez vous joindre à nous sans trop nous déranger ?"

Une série de tentes était montée derrière les armées ; les hommes se relayaient pour sommeiller quelques heures en attendant d'éventuelles sorties ennemies et parvenaient parfois à oublier qu'ils risquaient, chaque seconde de leur présence ici, leur vie. Il serait fou pour l'armée de rester dans ces régions éloignées et peu connues plus que nécessaire. Le climat était agréable mais ne trompait guère : les gaediens n'étaient et ne seraient jamais les bienvenus et pourraient regretter leur présence plus qu'ils ne le pensaient.

Les flancs droits et gauches de l'armée se fortifiaient chaque heure un peu plus ; on avait commencé par ériger une première muraille tandis qu'un large fossé permettait de récupérer assez de terre et de caillasse pour élever une tour de guet surplombant les environs. Ca et là une activité féroce régnait, il s'agissait ni plus ni moins qu'une course contre la mort. La faim et la soif feraient plus de dégâts qu'aucune armée kandrasienne si les constructions n'étaient pas achevées à temps. Des armes de siège : béliers, catapultes, trébuchets, ballistes, plus de deux-cent constructions s'attaqueraient prochainement aux murailles de la Blanche, dernier rempart entre les gaediens et l'armée kandrasienne qui s'y protégeait.

Les Grands Seigneurs des Sentinelles de Gaed parcoururent les rangs de l'armée endormie soulevant quelques vagues protestations sur leur passage, la guerre était souvent dure pour le moral des hommes et ces derniers aimaient à rejeter la faute de leurs tracas sur leurs généraux. Le petit groupe parvint face aux émissaires kandrasiens et une discussion s'entama entre Dinivan et le Roi Ilaak d'Itoria. Enfin Hernander prit la parole.

"Messire Dinivan, je suis le seigneur Hernander de Lougevelles, Commandeur des armées empersoises."

Il tourna la tête et engloba d'un mouvement ample du regard l'immense armée qui se tenait derrière-lui. Le vent commençait à souffler et une légère pluie fine ponctuerait certainement la fin de journée comme la veille et l'avant-veille. Il tardait à chacun de rentrer à Ephyne où leur famille et le peuple les accueilleraient avec des vivats et des mouvements de joie ; pour peu qu'ils soient victorieux.

"Le Haut Représentant de Gaed vous porte ses excuses pour son absence à ces négociations ; il n'a pu rejoindre l'armée qu'en calèche et le voyage l'a fortement diminué, il n'a, à l'heure actuelle, toujours pas repris conscience et les médecins craignent qu'il n'ait jamais été aussi proche de Gaed.

Notre présence ici n'est pas dûe à la venue sur nos terres du seigneur Nidolius ; cette dernière n'en a été que que le déclenchement. Les dix dernières années ont été probablement les plus agitées de notre ère en Empersiste, le monde de Gaed a retrouvé une raison de vivre, un guide pour le mener vers sa destinée et jamais avant le peuple n'avait autant ouvert les yeux sur notre mission et celle de notre Eglise."

Les chevaux commencèrent à renacler, signe de leur impatience : les longs discours ne servaient ici à rien : une armée de plus de 100 000 hommes se trouvait aux pieds d'une citadelle considérée comme imprenable. Des sommes considérables avaient été versées pour financer cette campagne et chaque jour des hommes mourraient par milliers. Chacun sentait qu'il fallait être bref et précis.

"Longtemps nous avons cru que vos dieux pouvaient ressembler en quelques points à Gaed et que vous les écouteriez. La paix, le respect et la liberté sont pour vous des mots si doux, si nobles et si fragiles : vous ne les avez guère usés jusqu'ici et leur son résonne beau, clair et surtout neuf. Vous êtes venus à Ephyne voici dix ans pour renverser un homme corrompu qui avait été détourné de sa mission mais Alanor Calaman désirait avant tout la richesse et la gloire, la destruction d'Ephyne et de l'Assemblée, l'emprisonnement et l'esclavage des ephynois, le pillage de la région de la Belle et de toute autre proie à proximité. Il en a été décidé autrement.

De la paix que nous vous proposions vous avez alors fait un venin, faisant tuer l'escorte de nos ambassadeurs et les emprisonnant dans les célèbres geôles d'Elderine. Nous espérions que, en vous oubliant vous feriez de même et laisseriez le monde en paix, espoir insensé. Dylan Selden a fait protéger Thomas de Crykas dans une abbaye reculée de l'Empersiste : il est mort de la main de kandrasiens fuyant l'arme basse et la queue entre les jambes : voilà où est l'honneur kandrasien. J'y étais, j'ai vu ce qui s'est passé, j'ai vu les moines massacrés et les gardes brûlés vifs, j'ai vu le corps de Thomas, pendu au coeur d'un lieu saint, la signature kandrasienne siégeant sur tous les murs et tous les morts.

Là encore nous n'avons rien dit. Nous n'avons rien fait. Puisse Gaed nous épargner un jour pour cette faiblesse. Nous avions peur de l'ombre de la guerre qui planait sur nos terres, nous avions peur de laisser encore d'autres femmes sans leurs maris et d'autres enfants orphelins de pères. Des hommes sont morts à cause de cette faiblesse, des justes qui ne méritaient pas ce qui leur est arrivé, des kandrasiens comme des gaediens. Nous avons failli et portons nos excuses à votre peuple, puisse Gaed un jour nous pardonner. Si nous avions agi quand il était encore temps et que nous avions frappé au coeur du mal, rien de tout cela ne serait arrivé. Elderine doit tomber pour qu'Ephyne perdure. La Belle ne doit plus rester une proie pour des hommes cupides.

Les armées kandrasiennes seront affrontées sur vos terres puisque nous ne parvenons plus à vous tenir loin des nôtres. Votre peuple va comprendre ce que mourir pour sa patrie et sa famille signifie. Votre peuple va comprendre que le massacre du peuple aevenspeer, le pillage d'Eskadner, les viols du Royaume de l'Elbre et l'invasion de l'Empersiste ne sont pas voulues par ses Dieux mais uniquement par ses dirigeants. Cette bataille marquera le détournement de votre Erélian et de votre Erus de cette cause perdue, la domination du monde ne sera plus une volonté kandrasienne. Nous mourrons tous pour cela s'il le faut mais vous serez arrêtés ici ou jamais. Les sentinelles de Gaed viennent chercher la paix et la sécurité pour notre monde. Nous ne serons plus menacés d'anéantissement par votre gouvernement plus guidé par sa croyance en le Dieu de la guerre et reniant chaque jour un peu plus Serul.

Pour Gaed, nos sentinelles et notre peuple, pour que la vie puisse continuer ailleurs que là où vous l'avez désiré, vous, kandrasiens, Maîtres de Guerre de notre siècle."

Il se détourna du régent kandrasien et dévisagea chacun des hommes qui l’accompagnaient : nombreux étaient ceux qui partageaient son opinion, d’autres encore, tout aussi nombreux n’écoutaient que leur cœur qui criait vengeance. Cœur et raison unis par la foi. La noblesse et le peuple unis derrière les étendards d’Ephyne.

La dernière muraille était tombée sous les coups de trébuchets des gaediens. Derrière elle plusieurs milliers de kandrasiens attendaient, l'épée à la main ou l'arc au poing de livrer ce qui serait probablement leur dernier combat. Nul ne sût réellement d'où vint les premiers ordres, quelle cité lança ses forces en premier ou même s'il s'agissait de kandrasiens ou de gaediens. Quoiqu'il en soit le choc fut terrible ; les deux gigantesques armées s'élancèrent l'une après l'autre et le monde retint son souffle. Encore une fois les archers empersois et ciraniens firent des merveilles, fauchant les rangs kandrasiens plus sûrement que n'importe quelle charge. Les chevaliers et nobles défenseurs d'Elderine tombèrent sous les coups des flèches et des carreaux, écrasant derrière eux les fantassins qui tentaient de maintenir l'allure éfrénée de l'armée en marche.

Au devant de chaque armée se tenaient les seigneurs, les généraux qui avaient tenu à participer, l'épée tirée, au massacre des kandrasiens. Hernander de Lougevelels se tenait au devant de la petite cavalerie empersoise, sortie en grande partie des terres d'Ashter. Lotris d'Ashter se tenait à ses côtés, les autres avaieznt regagné leurs commandements personnels à la tête de leurs propres troupes. Asclepior de Bragancie, Märkus de Tyrswôl, Hémor Varin d'Auzance, Ceniver de Belalia et Korrak de Krim, vassaux d'Ephyne, à la tête des Sentinelels de gaed et de l'espoir d'un peuple. Plus loin, sur le flanc droit chargeaient les ciraniens, l'ost d'Ilaak d'Itoria et de Wilhelm d'Helkosis formant près d'un tiers des gaediens présents sur le champ de bataille.

Enfin tout fut fini. Hernander de Lougevelles se tourna et dévisagea le champ de bataille. Des morts, comme souvent kandrasiens jonchaient le sol. Il se porta vers l'un de ses aides de camp et lui demanda une approximation des pertes.

"4000 ephynois, messire, depuis que nous sommes à Elderine.
- Les Sentinelles de Gaed ?
- Prêt de 20 000 hommes, commandeur, les fantassins épéistes ont subi le lourd des dommages mais l'ennemi a été annéanti.
- Je prends la tête des troupes d'Ephyne, que chacun me suive en ordre de bataille, nous allons rentrer dans la ville et réparer le mal engendré par Alanor Calmanan."

Les hommes pénétrèrent en ville et se dirigèrent rapidement vers le palais d'Elderine. Là se trouvaient les butins des guerres contre l'Aevenspir et le Beilan. La salle du trône d'Eskadner avait été pillée, les populations gaedienens et aevenspeer raptées. Des esclaves restaient ici et là attelés aux travaux des kandrasiens qui n'hésitaient pas à les faire travailler et à les tuer à la tâche dans l'ensemble des corvées du territoire. C'était inhumain et Hernander de Lougevelels les libéra. Sous bonne escorte ils seraient escortés, nourris et même parfois portés jusqu'à Ephyne, Ephyne la multiculturelle où leur vie serait protégée. Ilaak d'Itoria s'empara des richesses volées autrefois au Beilan et en Aevenspeer, Elderine ne vivrait plus sur les richesses des autres peuples.

Ce que l'histoire ne retiendra probablement pas c'est que ces libérés ne représentaient probablement que dix pour cent des esclaves qui revinrent bien encadrés à Ephyne. Pour le meilleur et surtout pour le pire ils se marrièrent une fois de plus avec les chaînes de la servitude et changèrent de maître pour les siècles des siècles, amen.

"Que l'on me trouve quelque kandrasien survivant, quelqu'un qui serait susceptible de parlementer. Que l'on prépare le départ des troupes.
- Bien Messire de Lougevelles."