Dans les ténèbres des marais

Une révolution culturelle venait d'ébranler depuis peu les fondations même des terres de gramée.

Suite à un décret de l'intendant Stros Jalba, la populace avait commencé la construction d'églises Gaediennes à travers tout le pays. De nombreux édifices étaient bâtis pour la gloire de Gaed et le culte d'Amk'Cherk semblait avoir disparu des marais de Gramée.

La joie et l'enthousiasme apparaissaient sur tous les visages, tandis que les seigneurs de Gramée faisaient montre de clémence envers le peuple. Les prêtres Beilannais et Ciranniens visitaient les chantiers et interrogeaient les civils, jugeant de la volonté Graméenne de s'intégrer à l'empire Gaedien.

Les litanies des prêtres louaient Gaed, et tous semblaient avoir oublié les préceptes d'Amk'Cherk. Mais cette atmosphère de gaité et de ferveur religieuse camouflait le véritable visage de Gramée. A l'insue des prêtres Gaediens, les seigneurs Graméens continuent de faire usage des anciennes pratiques, et ce n'est que par la menace d'une mort atroce que les ouvriers s'affairaient, affichant un fanatisme gaedien devant les étrangers.

Dans d'obscurs temples dédiés à Amk'Cherk, au sein des marais, les prêtres sacrifiaient les malheureux qui avaient déçut l'unique. Les esclaves, tenus dans l'ignorance des obscurs desseins de leurs seigneurs, travaillaient jusqu'à ce que la fatique ait raison d'eux. Ils étaient alors enmenés loin des regards, vers leurs morts...

Ainsi, sous une façade Gaedienne, la gramée reprenait des forces et se faisait des alliés. Aust Felkan, grand prêtre d'Amk'Cherk, jubilait à l'idée qu'un jour prochain, l'Unique pourrait imposer ses idéaux à tout retrahant. La Gramée, pays des assassins, des trahisons et des intrigues se relevait, tissant patiement son oeuvre de duperie dans la toile qu'est la vie politique et religieuse de retrahant.

Le renouveau de la Gramée était inattendu, un pays rongé par le Mal, se complaisant dans des pratiques obscures et où le maître mot est l’asservissement. Mais pour accentuer la surprise, la Gramée affirmait avoir changer de religion : Gaed avait semble-t-il réussi à percer les cœurs des bêtes assoiffées de sang. Après moult débats aussi animés que virulents, le Saint Ordre Apostolique de Gaed dépêcha un émissaire pour apprécier la réalité des choses sur place.

La première réaction face à une telle prétention est le doute voir le soupçon. La Gramée n’était-elle pas la Terre de toutes les trahisons, de la mesquinerie et de l’hypocrisie. Qui peut croire que les mœurs d’un territoire s’effacent aussi facilement. Loin de douter de la force du Puissant, il est vrai que la première Croisade Sainte avait frappé ce territoire. Mais il y a une différence entre la conversion et l’extermination pure et simple. Seul la haine et la rancune auraient pu naître après coup. À première vue, les spéculations étaient illimitées et vaines pour élucider la question.

C’est dans cet état d’esprit que Thÿeillec le Fidèle, premier laudateur du Saint Patron, se prépara au voyage en Gramée. Malgré toute sa confiance, un mauvais pressentiment le tenaillait : il savait qu’il risquait sa vie en effectuant ce soi-disant simple contrôle de foi. C’est ainsi que le cœur lourd et après avoir longuement admiré le Chapitre Supérieur comme pour la dernière fois, il partit accompagné de quelques frères de l’Aureus Corpus.

Le voyage n’était guère agréable, la Gramée n’avait point changé depuis la Croisade : toujours la même puanteur des marécages une fois passé la frontière graméenne, assailli d’insectes en tout genre. Même si la Gramée avait accédé à la foi, leur connaissance de l’agriculture était pitoyable. Même si ils étaient forgés par un dur entraînement, la troupe supportait mal ce climat, l’eau potable se faisait rare.

C’est avec enthousiasme qu’ils arrivèrent à Melit-Aend, même si la ville ne semblait point accueillante. L’accueil des dirigeant fut toutefois courtois, peut être même trop, ils redoublaient d’attention. Après ces nombreuses politesses et un court repos, les hommes se mirent au travail, il fallait déterminer si la Gramée était réellement gaedienne.

Aucun doute que les édifices gaediens pullulaient, cela sautait aux yeux. Des « prêtres » récitaient des litanies grossières et s’y appliquaient. La vie semblait avoir repris son cours. Les hommes si on pouvait les nommer ainsi avaient l’air d’être mieux traités, mais était-ce vraiment l’œuvre de Gaed.

Tout ceci était bien trop idyllique, une simple apparence grossière qui pouvait tromper de modestes croyants mais point des hommes baignés depuis leur enfance dans la culture gaedienne. Les graméens guidaient les émissaires avec beaucoup de zèle dans les lieux les plus à même de prouver la foi, mais toute curiosité de la part des hommes du Beilan était vite balayée, les graméens prétextant d’autres lieux à visiter. Lorsque l’Aureus Corpus interrogeait des petites gens, pour la plupart de vulgaires esclaves, ceux-ci étaient tétanisés et fuyaient. Les soupçons se confirmaient et Thÿeillec décida de mener une incursion dans la Gramée profonde, à l’écart des « guides graméens » si entreprenants.

Invité

"Il en sera fait selon vos désirs, maître..."

L'homme, qui avait un genou à terre, se redressait lentement. Il était tout de noir vêtu, de cuir et de vêtements à ras le corps. Sur ses épaules était rejetée une cape grise, dont le capuchon était rejeté en arrière. Machinalement, il laissa vagabonder son regard dans la pièce, analysant par habitude ce qu'il y voyait. L'endroit n'était pas bien grand. Etroit et de forme rectangulaire disposé en long, l'ameublement était entièrement tourné vers le travail. Une table recouverte d'un amas d'outils plus ou moins utiles et de papiers, des armoires le long des murs, et un grand bureau, prenant presque toute la largeur de la pièce, au fond. Derrière, un âtre, ou crépitait une bûche de bois. Son regard s'attarda quelques instants sur le calice se trouvant sur la cheminée. On racontait que le Grand Prêtre buvait du sang humain lors des rituels dans cette coupe même. A l'autre bout de la pièce, en face, la porte par laquelle l'homme était entré. Enfin, son regard se finit par se poser sur son interlocuteur. Aust Felkan, debout, terminait sa demande.

"... Cet homme est devenu trop entreprenant et trop dangereux. Qu'il disparaisse, mais discrètement, compris ?"

L'homme acquiesça.

"Je placerai mon meilleur élément sur cette mission, ô Grand Prêtre. Dites-moi seulement où nous pouvons le trouver... Ainsi que les honoraires de l'Académie."

Un long silence s'installa dans la pièce. Les Poignards Noirs étaient réputés, mais ceci avait un prix... Même pour les maîtres de Gramée. Après un grognement, Felkan reprit.

"Ce vieux fou a décidé de visiter les villages reculés de Gramée. Je vous crois capable de le retrouver à temps. Votre dû sera apporté au Kol'Tarur une fois la tâche accomplie. Maintenant, sortez."

"Il sera fait selon vos désirs, maître..."

Et Mensa Nor s'éclipsa. A cheval, sur le chemin le ramenant au Kol'Tarur, Mensa réfléchit à la façon de procéder et à l'homme à employer. Felkan voulait que cela reste discret, cela devait passer pour un accident. Comment... Après quelques minutes, il tenait la façon de procéder. Ne lui manquait plus que l'homme adéquat. Kaman fera l'affaire. Mensa extrapola rapidement. Si tout se passait bien, la cible serait abattue dans moins d'une semaine.

~~~~

Thÿeillec le Fidèle s'était enfoncé dans les terres intérieures de la Gramée à la recherche de la graine d'hérésie qui, il en était sûr, avait germé dans ce pays. Même Gaed ne pouvait effacer tant vilénie en si peu de temps... Thÿeillec allait percer à jour cette odieuse machination et déclarer une nouvelle croisade pour purger ces marais putrides ! Gaed n'aime pas être bafoué. Malgré les demandes polies des autorités Graméennes les enjoignant à ne pas pénétrer plus avant en Gramée, la suite du Fidèle passa outre. Après quelques jours, Thÿeillec commença à haïr ces contrées maudites. Plusieurs de ses hommes étaient morts par un soudain excès de fièvre. D'autres avaient été piqués par des araignées ou des serpents, et enfin d'autres s'étaient laissés allés à goûter des plantes à l'aspect comestible mais qui en fait ne l'étaient pas. Pourtant, les autorités Graméennes leurs avaient fourni un guide compétant, soucieux de la sécurité de leurs frères Gaediens. Etrangement, ces mêmes frères avaient fais fi des recommandations de leur guide. A moins qu'il y n'eut pas de recommandations ?

Thÿeillec et ses hommes finirent par arriver dans un village typique de la Gramée véritable.

"Vous devriez faire demi-tour mon père, avant que vous et vos derniers hommes ne soient frappés par la Fièvre des Marais ! C'est un endroit dangereux pour les étrangers, vous savez."

Thÿeillec ne lui répondit que par un grognement. Ou était-ce du vieil Empersois ? Ils pénétrèrent dans le village, ilot de vie humaine dans un océan de danger. Les maisons semblaient faites d'un mélange de bois, de terre et de paille, et arboraient différentes formes, tantôt rondes, tantôt carrés ou rectangulaires... Un édifice en construction éveilla la curiosité du Gaedien qui suait depuis quelques heures à grosses gouttes. La chaleur des marais...

"Et ceci, qu'est-ce ?"

Leur guide regarda l'édifice que lui montrait Thÿeillec.

"Ceci ? Mais l'Eglise du village, monseigneur ! Mais elle ne semble point encore finie."

"Je tiens à la visiter, allons."

Le guide obtempéra et la délégation avança. Le bâtiment n'était pas encore fini, et les ouvriers étaient en train d'installer les immenses poutres devant soutenir le toit de l'édifice. Ces poutres étaient élevées par un système de cordes et de poulies, semblant assez rudimentaire, mais qui ne semblait étonner aucun des autochtones. La délégation pénétra dans l'Eglise et finit par s'arrêter dans la nef. Là, Thÿeillec semblait chercher quelque chose, son regard inquisiteur se promenant de-ci de-là. Il engagea la conversation avec son guide, qui ne dura qu'un court moment, car celui-ci dû s'éclipser un instant, laissant ses frères Gaediens dans l'Eglise. Quelque chose n'allait pas, et Thÿeillec le voyait. Cette église ne faisait pas véritable. Il était désormais certain qu'en poussant plus avant ses investigations, il trouverait ce qu'il cherchait.

Soudain on entendit un cri de mise en garde, suivit d'un bruit de tonnerre. Des bouts de tuiles se mirent à tomber sur les Gaediens. Le bruit d'une corde traversant des poulies sans retenue. Thÿeillec leva les yeux au ciel et vit cette immense poutre s'écraser.

"Gae..."

La Maison de Gaed s'effondra littéralement sur Ses fils. Une panique générale se déclencha dans le village. Plusieurs heures après, on eut le verdict : douze constructeurs étaient morts dans l'accident, et aucun membre de la délégation Gaedienne n'avait survécu. Quant au guide, il avait disparu.

Nombre de messages : 40 Date d'inscription : 06/05/2007

Quelques jours plus tard, une troupe d'une centaine de cavaliers sortit de Melit-Aend. Ils étaient menés par des partisans fidèles à Stros Jalba.

Chargés de mener l'enquête et d'en transmettre les conclusions au Saint Chapitre afin d'éclaircir les éléments de cette mort tragique.

Une fois arrivés sur place, les cavaliers évacuèrent la population, que ce soit en les exhortant de déguerpir, ou en les persuadant par des coups d'épées bien placés. Qui se souciait qu'un village Graméen soit complètement rasé?
La peur avait suffisament pris les habitants du pauvre petit village pour que les hommes de noir et de pourpre habillés soient sûrs qu'ils se tairaient et se terreraient.

Mais alors que le village maintenant vide était disponible pour l'enquête Graméenne, il se produisit un autre malheureux incident.
Les cavaliers, armés de torches, semblaient vouloir éclairer la scène. La paille sèche qui constituait les toits de nombreuses habitations crépitait, enflammant tout ce qui pouvait l'être.

Le simulacre d'église aurait pu être épargnée si un tas de cette même paille n'avait pas été empilé quelques minutes auparavant juste sur les cadavres qui commencaient à pourrir. La chaleur de l'incendie et la puanteur de la chair brulée poussa la troupe dans un bois aux alentours. Une sinistre expression naissait sur le visage de plusieurs des hommes. Le plaisir montait en eux. La scène devait réveiller quelque instinct enfoui, mais ils restaient silencieux, observant le brasier avec délice comme on peut observer un édifice étonnant ou une femme particulièrement belle.

"Allez! On y va! La prochaine fois, il y aura des cris!"
Des grognements de plaisir circulèrent dans la troupe. Ils repartirent vers Melit-Aend au grand galop. La zone ne serait pas visitée par des gueux avant longtemps, la probabilité de disparition étant trop grande.

Bien sur, l'enquête concluait que la mort des religieux Beilanais était un regrettable accident, mais que de la sorte, ils avaient rejoint Gaed plus vite.

Dans le même temps, une autre troupe escortait un coffre plein de pièces d'or. Mensa Nor devrait s'en satisfaire.

La nouvelle était parvenue tôt dans la matinée, la triste nouvelle. Déjà le Chapitre Supérieur était saturé de couleurs orange et noire, les bannières noires et blanches du recueillement étaient hérissées au somment des murailles en l’hommage de Thÿeillec le Fidèle. Venait s’ajouter les étendards orange de l’Aureus Corpus. La forteresse monastère devenait une cité polychrome funèbre.

L’arrivée des graméens avait été une surprise, quelques cavaliers équipés mais tout à la fois préparé comme pour une cérémonie avaient fait irruption avec arrogance dans l’horizon de Heffdim la Sainte. Leur venue avait été annoncée par les sentinelles depuis un bon moment avant qu’ils ne franchissent les lourdes portes de la cité. Les graméens avaient la mine grave avec un air renfrogné toutefois. Le Saint Patron les fit accueillir par un laudateur ne souhaitant pas perdre du temps inutilement sans avoir une quelconque prévision de mauvaises nouvelles. Mais compte tenu de l’importance de l’information il fut vite averti.

Alors Thÿeillec le Fidèle, son meilleur laudateur avait été victime semble-t-il d’un sombre accident. Les spéculations allaient bon train mais rien ne devait transcrire face aux graméens. Ces derniers furent remercier d’avoir fait tout ce chemin pour apprendre la mort du Fidèle et poliment accueillis, mais on leur demanda de quitter le Chapitre dans la journée sous prétexte de ne pas gêner le recueillement des frères. Avant de se lancer dans l’élucidation de cet évènement il fut décider de mener la mise au tombeau en premier lieu. Faute de corps, seule la cérémonie funèbre et les derniers devoirs seront exécutés.

La journée du lendemain fut déclarée jour de deuil, aucun travail ne devait être exécuté. Tous les frères étaient peinés par cette mort tragique, ils se préparaient avec minutie pour faire honneur à ces hommes tombés. La Grande Cathédrale du Saint Ordre malgré sa grandeur accueilli difficilement les centaines de milliers d’hommes du Chapitre. Un silence de mort régnait dans la ville, la peine dominait les pensées dans lesquelles germaient les premières idées de doute et de vengeance. Mais l’ordre du jour était de commémorer le repos éternel du Fidèle et des frères de l’Aureus Corpus. Le Chapitre s’éteignit dans l’affliction la plus totale.

Moins de trois jours après la cérémonie, tous les Doyens et les Gardiens du Saint Ordre furent réunis dans une réunion extraordinaire. Ce contrôle de foi en Gramée devait se dérouler sans problème, mais le Fidèle avait fait part de ses craintes. Le Saint Ordre n’avait évidemment aucune preuve d’une quelconque machination contre les entreprises des émissaires gaediens. Mais le doute était fort dans cette affaire. Plus particulièrement la mort même de ces freres était inacceptable : le lieu d’une église gaedienne était beaucoup trop symbolique. La volonté de Gaed ne peut nullement être remise en cause mais Thÿeillec était sans aucun doute le frère le plus dévot à Gaed, il était reconnu dans toute l’institution gaedienne pour sa sagesse et sa foi inébranlable. Les graméens semblaient se satisfaire qu’ils rejoignent plus rapidement Gaed, mais ces derniers n’avaient rien compris. Les relations futures avec la Gramée allaient devenir limitées, même si il n’est pas prouvé que la Gramée ne soit pas gaedienne, le Saint Ordre guettera la première erreur. Mais pour le moment un détachement de frères fortement armés et entraînés fut envoyé de nouveau en Gramée pour exiger les restes des défunts. Le contrôle de foi était maintenant devenu obsolète, le Saint Ordre avait forgé une idée distante avec la Gramée dorénavant. Ce ne sera pas immédiatement que ce territoire rentrera dans les bonnes faveurs du Saint Ordre.