[Quêtes de Kandrasie I] Port de Gorgia

La silhouette se déplaçait sur les quais du port de Gorgia à une allure soutenue. Une activité fébrile agitait la plupart des navires accostés là depuis quelques heures à peine. Les oreilles entendaient les jurons des marins de totues nationalités, les yeux s'accrochaient aux peaux basanées, aux étoffes châtoyantes et aux lourdes caisses aux contenus mystérieux. Des destinations exotiques, des senteurs d'ailleurs et de lointain, le port de Gorgia vivait une matinée normale.

Habillé d'une tenue noire qui se voulait disctète en le recouvrant de la tête aux pieds, l'homme fut arrêté à de nombreuses reprises par des capitaines en quête de bras.

" Eh, Matelot, Kara m'en soit témoin, il y a des retrahs à gagner si tu nous aides"

Il déclinait chaque proposition d'un geste sec de la main et poursuivait sa route. Pour autant sa silhouette menue laissait soit présager une petite nature, soit un jeune âge, mais la plupart des bâtiments kandrasiens étaient en sous-effectif après les lourds conflits contre le patriarche. N'importe quel excentrique était le bienvenu pour peu peu qu'il apporte ses bras avec lui.

"Je cherche le "Beau Fringant", un navire qui bat pavillon beilanais.

L'inconnu s'était arrêté près de la zone de débarquement d'une voilerie. On ne lui prêta guère attention jusqu'à ce qu'un jeune kandrasien portant un foulard enroulé autour de son front ne se tourne vers lui, l'air exaspéré.

- Va voir du côté de la rue Formier, près du temple de Ris. C'est là que les marchandises "nobles" daignent accoster sur nos terres, ici on ne fait que travailler, pas comme ces beilanais."

Il fut remercié d'une pièce tandis que l'homme se dirigeait d'un pas toujours plus hâtif vers sa destination. Il jetait de fréquents coups d'oeil par-dessus son épaule en frôlant nerveusement le pommeau de son poignard qu'il gardait à la ceinture.

Enfin il aperçut le navire qu'il cherchait. Un sourire aux lèvres, il se dirigeait droit devant lui quand soudain il entendit un tintamarre. Une brusque douleur à la nuque et le silence...

Trois ou quatre personnes se tenaient à quelques pas de là lors de son arrivée, un initié aurait simplement chuchotté le nom d'Azenora et aurait détourné les talons par peur. Le grand escogriffe aux muscles saillants devait probablement être l'un de ses lieutenants ; il dépassait les autres d'une tête peu tassée en hauteur et de deux ou trois en largeur. Chacun se tût lorsque l'individu noir s'approcha.

" Voilà notre homme, dit simplement Azenora.
- Il leur reste beaucoup à apprendre en espionnage visiblement.
- Peu importe, faites ce qui doit être fait et ramenez moi le sceau et la missive.

Le lieutenant fit un signe de tête à deux marins robustes qui s'attelaient à décharger des caisses d'un vieil entrepôt. L'un d'eux tenait entre ses mains la corde d'un palan retenant une lourde caisse sur-élevée de deux ou trois mètres au dessus du sol. Ils observèrent la petite silhouette s'approcher et orientèrent le palan avec habileté. Elle s'écrasa avec grand bruit et fracas sur l'homme tandis que l'un des marins hurlait des avertissements tout en écartant sans ménagement les curieux un peu trop rapides. Son compagnon se précipita vers le corps et en fouilla rapidement les poches tandis que les badauds commençaient à approcher.

- C'est fait, Azenora. Ce n'était qu'un enfant, un messager probablement formé à la hâte dans l'une de leurs "écoles".
- Remercie tes hommes pour leur travail et continuez de surveilelr le navire, j'ai à faire."

Azenora fit disparaître le parchemine t le sceau qu'on lui tendait sous son vêtement. Voilà une affaire rondement menée. Des observateurs avertis auraient pu voir sa silhouette détourner les talons et se diriger vers le palais de Gorgia, mais généralement les observateurs avisés ont d'autres préoccupations après un tel accident.

La jeune femme déboula de la rue Formier d'un air décidé et revêche. Ses longs cheveux bruns, attachés en queue de cheval, pendaient derrière son dos, maintenus élégament en place par une broche dorée représentant un poulpe aux longues tentacules. Sa tenue était sommaire : un gilet qui enserrait sa poitrine et dévoilait par endroits une peau bronzée et ferme. Un pantalon qui parcourait ses jambes jusqu'à mi-mollets tandis que de hautes bottes noires remontaient presque jusqu'aux genoux. Son collier était probablement l'un des seuls ornements d'orfèvre qu'elle portait. Atatché autour de son cou, il descendait au niveau de son décolleté et se balançait au gré de ses déplacements.

Il lui fallaut quelques minutes à peine pour rejoindre l'endroit qu'elle cherchait. La "Rue des Cavaliers" portait mal son nom, on y trouvait des orfèvres, des artisans, des scribes et quelques prêtres de Serul mais aucun palefrenier ou forgeron qui étaient même plutôt mal vus dans cette partie de la ville. Une agitation certaine tournait autour de la plupart des boutiques dans un brouhaha quotidien et une ambiance commerciale bon enfant. La brune détacha son regard d'un groupe d'enfants qui cherchaient à dérober tout ce qui pouvait briller et surveilla du coin de l'oeil une patrouille de l'ordre d'éralian qui déambulait tranquillement entre les étals.

Leur chef portait une armure assortie d'un marteau gravé sur le torse. Sa large épée, probablement une actea, traînait dans son fourreau en frottant contre sa jambe à chaque pas. Derrière-lui suivaient deux archers et cinq ou six lanciers qui s'idaient de leurs armes comme de cannes. La chaleur ambiante ne favorisati probablement pas leur vigilance. Deux ou trois d'entre eux firent des remarques grivoises à la jeune femme qui s'absint de leur répondre. Enfin elle pût s'abîmer dans la contemplation d'une boutique. Une enseigne indiquait que maître Elfarm officiait là et une plume peinte sur une simple planche de bois indiquait à coup sûr que son métier ne conernait pas les armes. La porte était grande ouverte et semblait attirer de temps à autre quelques curieux avertis : il s'agissait là d'une des quelques boutiques en Kandrasie où le savoir et l'écriture sont dispensés en échange de quelque bonne monnaie trébuchante, c'est tout ce dont la jeune femme avait besoin.

Elle écarta d'un geste exaspéré un ou deux bambins qui lui quémandaient des piécettes et franchit le perron. La fraîcheur des lieux la prit quelques instants randis que ses yeux clignaient pour s'habituer à la pénombre.

"Que puis-je pour vous ma dame ?

L'homme qui avait parlé était déjà d'un certain âge. Sa voix, sèche et tranquille trahissait son habitude à chuchotter, peut-être même à fréquenter les temples et bibliothèques de Serul. Il se tenait près d'un des murs de la petite pièce, les mains parcourant les rayonnages d'une bibliothèque, quelques livres ou plutôt parchemins reliés entre eux qu'il ne faisait qu'effleurer. Dès son entreée de la maison il s'était retourné, un sourire pincé aux lèvres et le regard intrigué, semblant attendre une réponse.

- Je cherche maître Elfarm, j'aurais un besoin pressant de ses services et de ceux d'un serulobio.
On m'appelle ainsi, venez donc vous asseoir.

Cette réponse énigmatique ne manqua pas de surprendre la jeune femme. Elle suivit du regard la direction indiquée par le maître des lieux qui lui désignait un bureau et s'assit face à lui. Sans un mot, elle posa devant elle le sceau "obtenu" sur les quais avant d'ajouter, après quelques instants d'hésitation, une petite bourse fermée d'une lanière de cuir.

- Je souhaite qu'un serulobio écrive deux lettres dont je vous indiquerai le contenu. Elles seront marquées de ce sceau."

"- Et le sceau, d'où vient-il ?
- Cela ne rentre pas dans le cadre de votre travail. Acceptez-vous ?

L'homme réfléchit quelques instants en observant attentivement la bague ornée du sceau, il ne pouvait en ignorer l'origine. Enfin il secoua la tête et posa une main ferme sur la bourse.

- Bien évidemment. Voyez cela avec mon apprenti, Sargea, il est serulobio ou plutôt le sera à la fin de son apprentissage. Sergea ?

A l'appel de son nom, un jeune garçon d'environ treize/quatorze ans descendit les marches du petit escalier situé dans le coin de la pièce. Il s'arrêta net en voyant la jeune femme et resta quelques secondes à la dévisager, la bouche ouverte.

- Un travail pour toi, cette dame va te dicter deux lettres. Et quitte cet air ahuri, bougre d'âne beilanais.

Sergea était de taille assez petite, maigre et portait une robe d'un violet très calir, synoyme de son état d'apprenti serulobio. Il s'agissait probablement pour lui de sa première mission à l'extérieur des murs de son ordre. L'ordre de Serul, suite à la guerre civile contre le patriarche et le massacre de la Blanche, avait trouvé refuge en la cité fortifiée d'Ilsta'Adiad. La guerre finie, l'ordre était finalement resté dans le désert de l'Eriomene ed Abe Sur. On racontait que le grand temple avait été construit suivant le modèle de celui détruit de la Blanche par les graméens et qu'un quartier entier de la cité, le plus souvent fermé aux non initiés, l'encadrait. L'école qu'il abritait était l'une des plus réputés du royaume : les prêtres, gardiens du savoir, avaient fait voeu de le dispenser à ceux qui le désiraient mais il s'agissait le plus souvent des prisme du royaume, deuxième ou troisième fils qui trouveraient plus tard leur place dans la famille en tant que conseiller de luxe, dans l'ombre de leur aîné.

La main gauche de l'adolescent attira soudain le regard de la brune. Ses doigts étaient repliés sur eux-mêmes et semblaient animés d'un léger tremblement. Il capta son regard et rougit brusquement, plaçant sa main derrière son dos tel un enfant fautif.

- Ins-ta-llez-vo-us je vais me pré pré parer. Le geste brusque, il se dirigea vers une table de travail en demandant d'une voix tremblotante et timide à la jeune femme de le suivre.

Dès que sa main se posa sur le parchemin et empoigna une plume, elle devint plus douce et cessa ses tremblements. Le visage de Sergea était fixé sur son travail avec attention, ses yeux plissés par la concentration. De la senestre, il dessinait divers enluminures tandis que de la dextre il recopiait le texte dicté par la jeune femme en un trait habil et élégant. Médusée, elle observa les couleurs s'étaler sur le parchemin, un tracé léger et racé. Il ne leur fallut guère plus d'une heure pour achever les deux lettres, en tous points semblables sur la forme à celles portées par le messsager qui avait péri sur les quais. Le sceau rendit alors officielle les lettres, apposée par l'apprenti qui tilta légèrement en reconnaissant celui d'Erastan, prism du Sud mais se tînt coi.

- Qui es-tu et d'où viens tu, demanda la femme d'une voix douce ?
- Sergea, serulobio. Je viens d'une cité située à l'embouchure du Kandraque.
- Je crois que je reviendrai faire appel à tes services, Sergea."

Elle empoigna les deux lettres et, après un bref salut au maître Elfarm qui ne le lui rendit pas, elle détourna les talons et sortit de la boutique tout en pensant "imbécile de trism". Sergea fit tomber son ecnrier en la voyant se retourner vers lui pour le saluer. Il rougit encore plus fort tandis que son maître maugréait quelques insultes dans sa barbe.