[Quêtes de Kandrasie II] Prémices à la piraterie

Erastan s’était déplacé jusqu’au port d’Ambrasia pour l’occasion. Située à l’embouchure d’un fleuve, la cité plusieurs fois centenaire appartenait à une très ancienne famille de la noblesse kandrasienne : les Seridur. Leur mainmise sur la région était élevée mais se bornait à quelques kilomètres autour de leur cité. Famille de pêcheurs à l’origine, ils se plaisaient à rappeler à chacun où ils avaient commencé et s’enorgueillissaient d’avoir formé l’un des plus grands ports du royaume où parvenait une partie du fret en provenance d’Orcum et des petites cités états qui pullulaient sur les rivages alentours. Ambrasia était bien loin d'avoir l'influence de Dilian, citée portuaire fortifiée du Royaume ayant émergé sous Alanor mais gagnait en spécialisation ce que son aînée détenait par sa puissance. Ainsi il n'était pas rare que des nobles influents lui confient des commandes particulières pour gagner du temps sur les délais innombrables de Dilian.

Le prism d’Ilsta’Adiad, paladin d’Erus avait parcouru la distance depuis sa citadelle en l’espace de quelques jours. Il était accompagné d’un convoi de marchandises et de pierres précieuses extraites dans les carrières de l’Eriomene ed Abe Sur. Nul n’ignorait que de grandes richesses avaient été mises à jour mais les nombreuses expéditions lourdement protégées à destination de la Blanche n’avaient fait qu’entamer le trésor entassé dans les murs de la cité. Il avait donc fallu leur trouver une autre utilité et Erastan avait choisi de développer le commerce. Quelques ports avaient fleuri le long de la cote du désert d’Erus, hélas trop peu fourni pour le moment en marchandises et surtout en navires.

Une première flotte avait donc été commandée auprès de la maison de Seridur qui se félicitait de cette aubaine de remplir un peu ses coffres vides. Une dizaine de navires marchands n’attendaient que le paiement pour appareiller et trois navires de guerre voyaient leurs derniers ajustements se réaliser. Le chantier-naval, situé à l’extrémité du port abritait deux chantiers : un des navires de la flotte du régent, l’ « Amilia » était en réparation tandis que le « Corio’Rist » serait le plus imposant bâtiment à porter la bannière d’Ilsta-Adiad. Très peu manoeuvrable il n’était destiné qu’au transport de troupes et aux abordages, peu de navires seraient capables de repousser ses assauts pour peu qu’il parvienne au contact.

"Erastan, prism d’Ilsta’Adiad, je vous salue, quelles nouvelles de votre cité ?
- Elles sont bonnes, Prism Alfran Seridur, je vous remercie. Je vous apporte le premier versement pour notre opération."

Les deux hommes s’étaient retrouvés aux entrées du port. Alfran Seridur, âgé d’une quarantaine d’années était le père de quatre ou cinq enfants la plupart déjà mariés ou entrés dans les ordres. Il dirigeait d’une main de fer la famille tel un patriarche et veillait sur les désirs de ses cousins avec un regard avisé et suspicieux. Il accompagna son hôte jusqu’au chantier naval et accepta la requête de ce dernier : des paladins d’Ilsta’Adiad seraient autorisés à patrouiller autour du chantier et à protéger le « Corio'Rist » le temps qu’il soit mis à flot. Ils en profiteraient pour en apprendre le maniement. Eriomene ed Abe Sur s’ouvrait sur l’océan et sur le commerce.

Ils étaient arrivés la veille et avaient déambulé dans les rues d'Ambrasia sans plus de but que de connaître la ville, au cas où. Le port était un peu plus grand que celui de Gorgia. Situé à l'embouchure du Kandraque, l'eau en était ainsi plus chaude et les prises plus nombreuses. Il y avait peu de navires de commerce et encore moins de bâtiments de guerre, la pêche constituant la majeure partie des ressources de la cité. Le chantier naval, situé à l'une des extrémités du port, un peu en contrebas, se composait de quelques bâtisses reculées et d'un ensemble d'épaves attendant qu'une main magnanime se penche sur leur cas.

"- Le Corio'Rist ? Bien sûr qu'il est beau, c'est notre meilleure commande depuis longtemps.
- (...)
- Ah ça, pour sûr qu'il reste quelques détails mais il a déjà été placé sous la protection de Ris et de Kara, il pourrait probablement prendre la mer dès maintenant.

La plupart des habitants rencontrés se vantaient de ce travail dont ils n'étaient pas peu fiers : la gloire allait rejaillir sur eux, trop longtemps à l'ombre de ces rustres de Dilian si imbus d'eux-mêmes. On disait même que la nuit certains d'entre eux se plaisaient à effectuer des rondes autour des chantiers pour s'assurer qu'aucun étranger ne viendrait à saboter le Corio'Rist.

Ils s'étaient rendus à cinq à proximité des chantiers, surélevés par rapport aux constructions. Ils les observaient de loin avec un regard d'appréhension. Quelques patrouilles un peu trop nombreuses faisiaent leur ronde quotidienne, des paladins d'Ilsta'Adiad portant les tenues rouges d'Erus et des actea sur le côté. Par groupe de sept ou huit soldats,ils furetaient dans tous les coins sans négliger cependant de s'arrêter de temps en temps pour une pause bien méritée. Enfin l'un des cinq observateurs commença à parler d'une voix autoritaire, les autres tournèrent aussitôt leur visage et écoutèrent attentivement.

- Germ ?

Ce dernier releva la tête, ses yeux trahissaient sa peur et aussi toutes les questions qu'il se posait sur cet honneur qu'ils allaient peut-être trahir en accomplissant cet acte. Il tourna son visage vers les deux chantiers en cours, le Corio'Rist et l'Amilia puis vers les patrouilles qui allaient probablement les accoster tôt ou tard.

- Ilsta'Adiad nous a précédés, ce n'était pas prévu, Azenora.
- Germ ?
- ... il nous faudra un équipage...

Il poussa un soupir et regarda plus attentivement l'Amilia, la navire en réparation du régent de la Blanche. Quelques épaves masquaient les deux chantiers l'un à l'autre.

- ... et peut-être qu'une bonne diversion ...

Pour l'équipage, Germ fit appel à quelques uns de ses cousins mais pour la diversion, ce fut beaucoup plus délicat. Azenora s'absenta quelques heures. A son retour, des sacs l'accompagnaient. Germ jeta un regard à l'intérieur et éclata de rire, la nuit serait amusante.

Les ombres s'approchèrent des chantiers. On pouvait en dénombrer une vingtaine, à la lueur des torches qui entouraient l'espace. La nuit était tombée depuis déjà quelques heures et on n'entendait plus que les cris des ivrognes, plus haut dans le port. Quelques mouettes émettaient un dernier baroud d'honneur avant, probablement, de rentrer coucher les enfants. Les derniers marins à appareiller attendraient désormais le lendemain que les quais soient mieux éclairés.

Un étrange bordel régnait sur lesdits quais, des caisses aux origines douteuses s'amoncelaient un peu partout tandis qu'un amas de branchages et de feuilles mortes avait été rassemblé au milieu de la place centrale sous l'incompréhension de tous. Un navire était sensé venir les récupérer dès le lendemain à l'aube avaient promis les kandrasiens responsables de ce dérangement, aucune idée pour leur utilisation, sommes simplement payés pour les amener là. Un peu plus loin, une immense chaîne s'étendait sur la largeur du port, près de cinq mètres. Elle était reliée à une sorte de roue et son usage laissèrent dubitatifs les gardes d'Ambrasia qui fermèrent les yeux tant la kandrasie était libre au commerce. Ils furent tout à fait convaincus quand on leur affirma que les commanditaires étaient de surcroit beilanais.

A un moment avancé de la nuit, tandis que la cité dormait, une flèche traversa le ciel étoilé, en direction de la mer, traînant derrière elle une mince traîne enflammée. Elle se perdit dans les eaux du port, son message délivré. Il ne fallut que quelques instants pour que le port commence à s'animer. Deux silhouettes se présentèrent devant l'amas de feuilles mortes. On entendit des jurons tandis que l'un d'eux repoussait l'autre sans avoir oublié de lui céder quelque claque bien ajustée. Enfin des premiers craquements se firent entendre, des flammèches s'élevant lentement et se répandant au reste de l'amas. Bientôt les flammes atteignèrent les premiers navires.

"- Vite, la chaîne.
- Si on avait pas perdu du temps avec tes conneries.
- Je tremble, je tremble, c'est l'âge on n'y peut rien.
- C'est cette fille, je suis certain qu'elle t'a refilé quelque chose de pas bon.
- Moi en tous cas je lui ai refilé quelque chose de bon.
- Connard.
- EH, VOUS LA BAS !!!"

les deux compères se précipitèrent abandonnant là leur dispute. L'un d'eux s'apprêtait à dégainer son poignard quand l'autre lui maintint le main sur le pommeau, il s'agissait de ne pas attirer l'attention sur eux, le brasier devait rester la préoccupation de la cité. Cls se chargèrent chacun d'une extrémité de la chaîne, la roue permettant de la surélever à hauteur d'homme tandis qu'un filet, fixé tout le long, restait maintenu au sol. Un coup de bottes dans la roue et celle-ci se déglingua en un bruit à peine assourdi par les clameurs des pompiers improvisés. Nul ne vit les deux silhouettes prendre la direction des chantiers.

"- Que faites-vous là, vous n'êtes pas d'Ilsta'Adiad ?
- Arrivés ce soir avec le Prism Erastan, des rumeurs sur des pirates.
- Nous ne risquons pas grand chose, le bateau est mieux protégé que celui du régent mais c'est agréable d'avoir de la compagnie.

Celui qui avait parlé avait une voix sèche et précise, portant l'actea comme ses compagnons il semblait plus gradé et imposait le silence à ceux qui l'accompagnaient. Jëgar était un vieux de la vieille disait-on lors des soirées dans les tavernes, ne cherche pas Jëgar, il est les oreilles et les mains d'Erastan.

Les nouveaux arrivés, six, portaient la tenue de la cité d'Eriomene ed Abe Sur, des paladins d'Erus aux armoiries d'Erastan. Deux d'entre eux se tenaient un peu à l'écart, tatônannt contre le Corio'Rist tandis que les autres discutaient avec la patrouille présente. Quelques silhouettes commençaient à se faire voir du côté de l'Amilia leurs ombres s'étendant sur plusieurs mètres sur le sol sableux. La patrouille du chantier commença alors à s'éloigner, profitant des nouveaux arrivants pour raccourcir leur ronde. D'autres silhouettes arrivèrent alors dans leur dos discrètement, lourdement chargés, ils déposèrent leurs affaires contre la coque du navire d'Ilsta'Adiad et se dirigèrent vers le navire du régent, masqué par quelques épaves desséchées. Là une silhouette féminine, les cheveux atatchés donnaient des ordres. Les hommes, plus nombreux, portaient des teneus sombres pour se fondre dans la nuit. Ils disposaient des rondins de bois sous la cale du bâtiment, retirant les bâches qui isolaient certaines parties du petit navire.

- Maintenant ?
- Maitnenant

On entendit rapidement des cris tandis que l'incendie se déclarait. La patrouille hurla des avertissements, fit demi-tour au pas de course tandis que les paladins d'Erus fraîchements arrivés se détachaient dans l'obscurité, s'éloignant discrètement. L'Amilia se mit alors à bouger, d'abord doucement, puis de plus en plus vite. Monté sur les rondins, poussé par une vingtaine de personnes, il gagnait progressivement de la vitesse dans l'indifférence générale. Ce n'est qu'arrivé près de son mouillage qu'il apparût à la vue des gardes. Tout occupés à éteindre l'incendie déclaré à bord du navire de leur maître ils n'eurent que le temps de pousser à nouveau des cris d'avertissements, rejoinds il est vrai par leurs compatriotes tirés brusquement de leur sommeil.

Ils n'arrivèrent à portée que trop tard, se regardant en silence tandis que l'un d'eux, d'un cri de rage balançait sa lourde épée à la mer en direction du navire du régent. Jëgar observa l'écume qu'il avait provoquée et balança son poing dans la tête d'un des soldats qui passait à côté. Ce dernier s'affaissa avec un gémissement tandis que les autres l'observaient, l'air inquiet.

- Tu avais la charge de l'Amilia.
- Notre navire était en feu...
- Tu avais la charge de l'Amilia. Mettez-moi ça aux fers. Prévenez Seridur que sa ville est une passoire.
- On peut le poursuivre...
- On aurait pû poursuivre le Corio'Rist mais pas l'Amilia, c'est le plus rapide de ce port et Dilian est trop loin."