Dans les cols montagneux résonnaient les cors Aevenspeers. L'ennemi avait frappé quelques villages frontaliers sans défenses, pillant, violant, tuant et emportant en esclavage les quelques survivants. Les défenseurs des jeunes bourgades n'avaient que peu d'expérience et furent défait facilement par les pillards des marais.
Mais l'Aevenspir lui-même est plus dangereux que ses occupants. Ralentis par le froid, peinant à avancer dans les longs cols gelés, les Graméens laissaient derrière des poches de trainards, soldats blessés, vieux affaiblis ou soudards trop occupés à prendre leur part de viols sur des montagnardes déjà mortes pour rattraper la colonne à temps.
Nar, le jeune spadassin Graméen, leur était tombé dessus alors qu'il titubait, blessé à la jambe, dans les ruines fumantes d'un village troglodyte. Jans avait été capturé alors qu'il remontait précipitament ses chausses, encore penché sur sa victime. Eux et d'autres, aveuglés par le pillage et les massacres, avaient oublié qu'ils étaient en territoire étranger. Et que les troupes de la Karsperie, les Manteaux-Noirs, patrouillaient régulièrement la frontière. Organisés en petits groupes, ils avaient fondu sur les retardataires éparpillés, capturant ici, décapitant là, et laissant pendre aux branches des pins ceux dont ils n'avaient que faire.
A Karezdar, on avait préparé les loges de ces invités impromptus et belliqueux qu'étaient les Graméens. En l'absence d'Akdar, leur seigneur et général, les troupes de la ville obéissaient à Ezelia, la soeur de l'Ambassadeur. Laquelle était réputée beaucoup plus violente que son frère, et autrement plus prompte à s'énerver. Ezelia fulminait dans les caves du fort de Karezdar, entourée de quelques Manteaux-Noirs arrivés depuis peux et de soldats de la ville. Enchainés au mur se trouvaient une poignée de prisoniers Graméens, dont le plus mal en point semblait avoir été jeté du haut d'une falaise. Son souffle irrégulier était coupé de hoquets, gargouillis et autres quintes de toux qui lui faisaient cracher plus de sang que d'air.
Ezelia se saisit d'un marteau posé sur un chevalet et s'approcha du second prisonier, en rage.
"Voilà donc les soldats de la fière Gramée ! Une bande de reitres dont le courage n'est que tout relatif, à son maximum face à des populations sans défenses, au plus haut lorsque le rapport de force est en leur faveur, mais des plus pleutres, des plus lâches, quand il s'agit d'affronter la mort..."
D'un coup violent elle écrasa le genou droit de sa victime, insensible aux hurlements de douleur de ce dernier.
"Qu'ouis-je ? Des suppliques ? Venant d'un de ces braves guerriers habitué à voir des jeunes filles être égorgées en toutes occasions en son pays ? Dis-toi que tu vas mourir pour la plus grande gloire de ton pays de pouilleux, de tes marais sans âmes, d'un dieu qui oppresse ton peuple. Non seulement tu vas mourir pour un tas de merde, mais tu vas d'abord souffrir pour ça."
L'Aevenspeer fit signe à ses gardes de reprendre leur faction sur les murailles, restant seule avec les Manteaux-Noirs et leur lieutenant, un grand montagnard défiguré par ce qui semblait avoir été un coup de masse. Ce dernier esquissa ce qui semblait être un sourire et fit signe à ses hommes de détacher le Graméen pour l'installer sur une des tables souillés qui balisaient les cellules. L'officier s'approcha doucement du Graméen, collant son visage déformé près de celui de sa victime.
"Donne-nous la vérité sur ces attaques... Juste ça..."
Le prisonier fit mine de cracher à la figure de son bourreau, lequel recula vivement et fit un signe à ses hommes, qui posèrent sur le ventre de l'homme une boite en fer. Ce dernier sentit des petites pattes griffer frénétiquement son ventre, un animal paniqué couiner. Ce ne fut que quand le Manteau-Noir approcha la torche de la boite de fer que le rat qui y était enfermé commença à se creuser un passage dans les chairs tendres du supplicié.
Contre le mur, un des prisoniers vomit sans contrôle le contenu de son estomac. Ezelia regardait la scène d'un regard froid et hautain. Le lieutenant des Manteaux-Noirs semblait, lui, prendre un réel plaisir à sa tâche.
"J'ai été l'involontaire élève d'un inquisiteur Gaedien, messieurs. Mais sachez que ce à quoi j'ai survécu vous tuera sans coup férir et dans des souffrances que même vous, Graméens, sanguinaires adorateurs de cultes païens, ne pouvez imaginer. Alors... Je ne veux que la vérité sur ces attaques. Pourquoi un seigneur proche de l'intendant mènerait une attaque insensée contre un pays à la neutralité déclarée ?"
***
Ezelia ne ressortit qu'au petit matin, accompagnée des Manteaux-Noirs. Le lieutenant affichait un sourire béat sur son faciès monstrueux, Ezelia ne pouvait masquer sa satisfaction et les soldats qui les encadraient gardaient un air impassible.