Le temps était passé, et Damoiselle Aelys avait grandi. Beaucoup grandi. La jeune enfant, mignonne dans son enfance, était devenue un brin de fille agréable à regarder, bien que la supporter quotidiennement tenait de l'héroïsme. Elle avait gardé l'attitude de princesse fironkoise qu'elle avait depuis sa petite enfance. La plupart de ses actes étaient une réaction contradictoire aux ordres ou conseils prodigués par sa protectrice, la Mère Enya. Ainsi, la jeune fille passait pour un beau fruit, mais un beau fruit empoisonné. Et ce au regret d'Enya, qui avait élevé de nombreuses matriarches en puissance et avait compté faire d'Aelys son plus beau fruit. Sa filleule, si elle avait fait montre de moins d'irrespect pour les matriarches et de plus d'intérêt pour les études de la Grammaire et de la Théologie aurait été une mère parfaite. Elle était dotée d'un dynamisme que même l'enfantement n'aurait pu entamer et d'une beauté époustouflante. De plus, cette blonde et svelte jeune fille, le sourire complice et le regard railleur, fille de Salamandre, n'avait jamais nié son ambition, bien qu'elle ne sût jamais vraiment comment elle voulait l'assouvir.
Mais comment s'approcher du pouvoir si l'on ne cesse de critiquer l'ordre établi que représentaient prêtresses, courtisanes et matriarches ?
Cette exclusion (de nombreuses soeurs avaient été élevées matriarches ou prêtresses) avait d'abord peiné Aelys. Un peu. Cependant, elle comprit vite que que l'enfantement et la direction des affaires ne l'intéressaient en aucune façon.
La Rheanie se caractérisait par sa relative jeunesse et également par les circonstances dans lesquelles est né cette contrée, qui tire son nom de la capitale, Rhean. Cette dernière a été créée par une poignée d'exilés kandrasiens ayant fui les massacres empersois perpétrés en Kandrasie après la bataille d'Heffdim.
Dirigée par des femmes, les matriarches, cette cité porte encore en elle les conséquences du grand massacre. Ici, aucun homme n'est autorisé à tenir une haute charge, tant on n'a peur que le mâle recommence à rêver de guerre et de sang. Les matriarches et grandes prêtresses ont ainsi verrouillé le pouvoir et comptent bien continuer en n'offrant une éducation lettrée digne de ce nom qu'à certaines jeunes filles, filleules de matriarche ou disciples de prêtresses, désignées pour devenir des courtisanes à la cour rheanienne et, là bas, pour intriguer afin d'être élevée, pour la gloire de sa protectrice. Ainsi les hommes, illettrés, n'ont d'autres choxi de laisser la loi aux femmes.
Cependant, un autre fait marquant la Rheanie, c'est la peur qu'inspire la guerre à ces derniers, et notamment à l'élite matriarcale. Craignant que la race de Ris ne disparaisse à jamais de la terre, cette dernière s'est fixé comme principale préoccupation la croissance et l'éducation des nouvelles générations, et a ainsi laissé le soin de la défense de ses terres à quelques compagnies de mercenaires fironkois qui, bien que richement payées, n'omettent pas d'oser quelques rapines sur la population, sûrs qu'ils sont de la lâcheté des matriarches.
Cet état de fait faisait enrager une partie de la nouvelle garde matriarcale qui, moins timorrée que les anciennes, réclamaient que l'on chasse ces barbares. Mais pour les remplacer par quoi ? Des hommes de Rheanie ? C'était leur offrir la possibilité de renverser Rhean et instaurer un royaume de mâles. D'autres mercenaires ? Bonnet blanc et blanc bonnet. Non, la cour était bloquée, et l'on continuait à engraisser les compagnies fironkoises, bien que de timides milices d'hommes (souvent des serviteurs de grandes dames) ne tentaient de se tailler leur place.