Eté 695, dans l'une des forêts frontalières du Comté de Sanilve.
Pour la dixième fois peut-être, Vitya faisait glisser entre ses doigts les plumes de l'empennage. Il en trouvait le contact rassurant pendant cette longue attente. Tout en scrutant le chemin au travers des broussailles, il s'assurait que ses compagnons se tenaient également prêts. Ses cinq hommes se tenaient dissimulés dans la végétation, attendant son signal.
Puis, un bruit. Le trot d'un cheval, le bruit d'une conversation et le frottement d'un essieu. Leurs invités arrivaient.
C'était un chariot couvert, tiré par un cheval qui peinait à trimballer pareil chargement. Il y avait trois hommes visibles, tous armés, vraisemblablement des marchands.
Le stress montait et la peur s'insinuait dans l'esprit de Vitya. Encore quelques secondes et les marchands seraient pris dans le piège. Il attendit, fermant les yeux mais sentant son coeur battre comme pour sortir de sa poitrine. Alors, il essaya de se calmer mais n'y arriva pas et la passion l'emporta. Il se leva, sous le regard intrigué de ses hommes et sortit de sa cache, l'arc en main et la flèche prête. Il sortit des fourrés et se plaça au milieu de la route, l'air hagard, face à des bourgeois médusés par cette apparition.
Pendant dix secondes, il les fixa, bouche bée, incapable de dire un mot alors qu'il tenait son arc et sa flèche de sa main gauche. Les marchands ne bougèrent pas, ils attendaient une quelconque réaction de cet inconnu armé qui sortait de nulle part, ne serait-ce qu'une parole. Le temps semblait s'être arrêté.
"C'est comme dans un rêve..." pensa Vitya. Et en moins de trois secondes, il leva son arc et tira. Il y eût un bruit sec suivi d'un faible cri, puis le corps inanimé de l'un des marchands tomba sur le sol dans un bruit mat. Les deux négociants restants dégainèrent leurs épées mais cinq autres hommes sortirent des bois et les occirent sans autre discussion.
Le chariot était maintenant à eux, ainsi que les bourses des marchands. Pourtant les hommes étaient mécontents. Il n'aurait pas dû y avoir de morts, aussi ils s'expliquèrent longtemps avec Vitya qui reprenait ses esprits. Celui-ci ne savait pas quoi leur répondre, il n'avait rien contrôlé. Rien ne s'était passé comme prévu. Sa peur l'avait submergé et il avait tué.
Pourtant il n'était pas mécontent.
Il avait commis son deuxième vol et son premier meurtre. Comme dans un rêve...