Le prévost n'avait point écouté. Pendant trente-deux ans, Gérard Tromp-Leroy avait trompé, manigancé.
Des tavernes, il en avait vu, des vertes et des "pas d'murs !", soit une auberge façon "pleine air".
Tous les ans, n'écoutant que son courage, l'homme de peu avait accumulé la rage, la colère et surtout son talent pour haranguer la foule.
Le bon peuple l'aimait bien. Au début, les gardes avaient laissé faire, le prenant pour un autre saltimbanque. Un saltimbanque très amusant, puisqu'il avait échappé au bourreau par trois fois. Chaque champion avait sa discipline. Lui, c'était l'estrade et la foule. Et ce, au grand dam des exécuteurs et des seigneurs. L'exécution étant un spectacle publique apprécié par petits et grands, il s'averait que la foule, désespérée à l'idée de le voir exécutait réclamait à corps et à cri la grâce d'Ephyne. Une fois le baillon tombait, le paysan au verbe d'or n'était plus un condamné, mais un orateur face à un public enragé. Et gare au seigneur des lieux, qui face à la ferveur qui lui faisait face ne pouvait lever le petit doigt. De ville en ville, sa phrase fétiche embrasait le coeur des paysans, des gueux et des vermines :
- Faîtes Landinia grande encore.
Ce qui ne voulait strictement rien dire. Mais un paysan du quatorzième siècle de la seconde ère, il ne fallait pas lui demander de citer du Harald. Et cela, car à l'estrade, il était purement et simplement invulnérable.
Landinia, hiver 1384
Si la parole d'or était le don naturel du vieux Gérard, il lui fallait la sagesse. Et celle-ci, il ne la devait qu'à un ancien noble déchu et exilé, le Baron Dren, des contrées gelées de Fironk. Ce détail, bien entendu, était connu de peu, et certainement pas de ses partisans. A chaque force de caractère, il fallait un mentor. Et ainsi, l'ancien autocrate conseilla le Chouan.
Nul n'étant prophète en son pays et craignant l'assassinat, le tribun avait rassemblée dans les landes au confins de l'Empersistes ses plus fidèles partisans. Des landes on ne peut plus perdues. Ils étaient tous égaux entre eux, mais certains l'étaient indubitablement plus que d'autres. Ainsi seigneur de la fourche, il avait modifié l'ordre féodal sur les terres occupées par ses soudards. Pour quiconque voyant au delà des mots creux, ce changement appellé de ses voeux ? Ce n'était guère maintenant. Malgré ses grands discours et ses harangues dans le bourg qui fonda, certains commençaient à douter. Quand viendrait le grand boulversement ? Quand est-ce que poules, coqs, canards et fermiers uniraient leurs forces et marcheraient sur leurs anciens seigneurs ?
Il fallut la trahison de l'un de ses proches afin de le décider. La trahison de son fils des vergers, Frère Guillemot, qui manqua de lui trancher la gorge, ivre de colère. La raison de son ire ? Cette prise d'Ephyne, qui toujours tardait et ce retour masqué aux choses anciennes. Le baron, son fidèle conseiller, lui signala alors que plus il attendrait, plus il y aurait d'autres Guillemots. Et Gérard ne voulait pas de ces jeux-là dans sa société. Le frère fut déclaré martyr, chassé à cour par l'un des seigneurs voisins. L'offense devait être lavée.
Il était temps de faire cultiver les champs à ces nobliaux-là. Tous. Sauf le baron.