Les portes des enceintes de Gottheim, capitale de Syberis, sont ouvertes à tous les vents, et des bannières noires claquent au dessus des remparts : la cité, comme tout Syberis, est en deuil. Des perce-neige ont été disposés aux quatre coins de la ville, comme il est de coutume pour mon peuple de le faire lorsqu'une ame nous quitte.
La neige est tombée quelques jours plus tot, mais elle est déjà à moitié fondue, un fort soleil brillant depuis la mort du Seigneur Gavin illumine les toits, qui brillent des gouttes d'eau qui s'écoulent lentement : la ville pleure. En dehors des remparts, l'herbe apparait ça et là, d'un vert puissant, fort, qu'une brise légère irise comme les vagues à la surface d'un océan calme et plat. Le soleil brille dans un ciel que seul quelques nuages troublent comme des moutons égarés. Oui, c'est une belle journée d'hiver.
Une belle journée, trop peut-etre. Une journée pour avoir le sourire, regarder sa compagne, ses enfants, une journée pour etre heureux. Je maudis le ciel d'avoir fait ce jour si beau. On voudrait que tout soit triste en des jours comme cela, on voudrait qu'il pleuve, que les cieux nous accompagnent dans notre tristesse, mais aujourd'hui il n'en est rien.
Une cornemuse se fait entendre sur la plaine, seule, solitaire : elle joue une complainte, lente, lancinante. Le ménestrel se tient à l'écart du lieu de la cérémonie, sur une colline toute proche, et ses notes se melent aux pleurs des femmes, femmes qui doivent dans tout le pays pleurer le défunt pour que sont ame soit acceptée au Walhalla, le "paradis" de mon peuple.
Je me tiens là, face à la stèle qui vient d'etre dressée en hommage à mon ancien vassal. Il est mort en Zargos, mais je sais que où qu'il soit il nous entend. Les cheveux de ma soeur volent au vent, vent qui sèche ses larmes à peine pleurées. Tous se receuillent dans le silence que seul interrompt la plainte de la cornemuse et des pleurs des femmes.
...
- Un de plus, c'est le troisième cette année. Je me fatigue d'assister aux enterrements de tant de Seigneurs, dis-je à ma soeur et son fils tandis que nous regagnons la cité en une lente procession. Année funeste, dis-je pour moi-meme.
- Il ne faut pas vous laisser abattre mon Oncle, me dit Godfrey, le Seigneur Gavin, paix à son ame, nous a quitté, certes, mais nous, sommes encore là, et notre peuple nous attend pour continuer son chemin.
J'acquiesse, lentement, effacant la tristesse de mon visage, puis me tourne vers mon neveu, que je considère comme mon fils, et lui adresse un sourire. Dieux qu'il est grand à présent, dire qu'il entre dans sa vingt-cinquième année.
- Je me réjouis de voir que tu as acquit la sagesse de ton père. Je marque une pause, le regard perdu devant moi, et lui dit : Oui, tu as raison, ceci n'est qu'une étape : nous rejoindrons tous un jour nos frères au Walhalla. En attendant, nous devons continuer à avancer.
Je me rapproche de lui, et passe mon bras autour de ses épaules. Dieux qu'il a grandit.
Et il n'y aura pas eu que de funestes célébrations cette année, ajoutai-je : les Seigneurs Intendants du Rohan et de l'Aphrael vont bientot marier leurs enfants. Allons nous préparer, je ne voudrais pas manquer cela.
Tout en regagnant la cité, le bras toujours passé aux épaules de mon neveu, je jette un dernier regard à la stèle et pense : Reposez en paix, mon ami, vous avez parfaitement rempli votre role en ce monde.
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