Quelques heures s’étaient écoulées. C’était sans nul doute la première bataille que Deis avait menée à bien dans un autre territoire que la Gramée, et l’air d’Orcum lui avait fait le plus grand bien. Elle se sentait apaisée, ayant selon elle lavé l’affront subit. Dès son retour en Eltharia, elle avait fait sacrifier trois vierges au nom d’Amk’Cherk et déclaré ouvertes les festivités au nom de leur victoire. Ainsi, un air de fête planait sur la cité et une douce mélodie s’élevait au-delà des lourdes murailles de pierre, réveillant la terrible faune des marais alentours…
La jeune femme avait néanmoins refusé de s’amuser avec son peuple qui commençait déjà à réclamer des duels à mort, étant particulièrement friands de violence et d’effusions de sang. La jeune dame restait seule dans sa chambre richement décorée de crânes humains, et regardait le ciel, appuyée sur le rebord d’un balcon qui donnait sur un champ de pals où pourrissaient lentement les cadavres de ses ennemis…
Elle soupira, regrettant déjà ce bonheur qu’était celui de combattre aux côtés du seigneur Cypher. Un massacre était amusant, certes, tout autant que le kobakki ou n’importe quelle autre fête graméenne, mais il lui paraissait que cette joie était bien amère comparée à celle qu’elle avait pu ressentir il y a quelques heures à peine. Etait-ce dû à la présence de son frère khan ? Sans doute était-ce cela…Ce pourquoi elle se sentait blasée, lassée de tout, regardant les cadavres empalés sous la lueur de la lune avec un air dépité.
On frappa alors trois coups distincts à sa porte. Aussitôt, la jeune femme quitta le balcon.
« Que personne ne vienne rompre ma solitude ! » Rugit-elle exécrablement.
Mais on frappa à nouveau et, prise d’hystérie, la jeune femme finit par ouvrir brusquement la porte de la chambre pour faire face au serviteur qui, surprit, recula d’un pas. Elle le toisa un instant de son regard de glace, prête à le châtier pour son impudence. Mais en voyant qu’il ne s’agissait pas là d’un de ses serviteurs, ses yeux se posèrent sur le message qu’il venait apporter. Elle lui arracha la lettre des mains, souriant doucement en voyant le sceau de Korandor. Elle déplia celle-ci et se mit à la lire. Au fil des lignes ses joues s’empourprèrent tandis qu’un fin sourire étirait ses lèvres vermeilles.
« Attendez ici quelque peu. » Ordonna-t-elle sèchement devant le soldat étrangement muet.
Elle s’assit sur une chaise et sortit un bout de papier parcheminé qu’elle déposa soigneusement sur son bureau et trempa une plume dans un flacon d’encre noire avant d’écrire ces quelques lignes :
- Citation :
- Mon seigneur,
J’ai bien reçu votre lettre. Un air de fête s’est installé depuis mon retour à Eltharia. Tout mon peuple chante en cœur des louanges à Amk’Cherk et ne cesse de répéter que l’Unique à bénit notre excursion en Orcum. J’aimerai partager leur joie, mais il n’en est rien. Comment pourrai-je seulement me sentir heureuse et fière alors que cette victoire ne m’appartient pas à moi seule, mais à nous. Votre absence m’est une véritable torture.
Les sensations que j’ai pu éprouver en Orcum me manquent déjà. Pourtant, cela ne fait même pas un jour que nous nous sommes quittés. Je vous avouerai que je ne me suis jamais autant amusée de toute mon existence. Cela valait mieux encore que le Kobakki, et je brûle d’impatience quant à une nouvelle excursion dans un territoire lointain. J’espère sincèrement pouvoir marcher de nouveau à vos côtés, car il n’y a qu’avec vous que je me sens vivante.
Votre preuve d’affection me touche, et je ne pouvais rêver meilleur témoignage de vos sentiments. J’accepte ces esclaves avec une joie que je ne puis vous cacher.
Dans l’attente d’une nouvelle bataille. Je suis votre obligée.
Deis De Thrydwulf, à vous et à vous seul.
Ayant rapidement écrit ces quelques lignes, elle fit fondre de la cire et y apposa le sceau d’Eltharia. Elle se leva alors et tendit la lettre au messager.
« Apportez ceci à votre maître, et qu’elle lui soit remise en mains propres ! »
Le serviteur hocha la tête en signe de compréhension.
« Vous avez perdu votre langue ? »
Elle ne pouvait pas savoir à quel point elle avait vu juste…En effet, le serviteur ouvrit la bouche et Deis arqua un sourcil en voyant la langue coupée de ce pauvre homme.
« Bien…Dépêchez-vous, sinon je ne serai pas aussi clémente que votre maître, et je vous couperai autre chose que votre langue ! »
Le serviteur pâlit et fit un rapide salut respectueux avant de presser le pas pour remettre la réponse de Deis à Cypher.