Cérémonies à Liara

Une longue caravane quitta la cité de Narcosis en direction de la cité de Liara en Empersiste. Le commandant Nazir accompagné d’une centaine de lanciers montés assurait la protection de ce convoi qui contenait les membres les plus illustres de cette cité du désert. L’événement était de taille, c’était la première fois qu’un de leurs dirigeants épousait une femme d'une autre ville. Waldo rompait ainsi avec la tradition et l'élue de son coeur n'était même pas Orcumienne mais Empersoise.

Parmi les voyageurs, on pouvait distinguer des Orcumiens d’origine et des arabites qui avançaient en un seul groupe mélangé. Ils étaient tous vêtus de la même façon, seuls les visages trahissaient leurs origines. Pour certains, il était difficile de conclure, la longue implantation de la cité de Narcosis dans le désert avait favorisé la mixité. Les arabites étaient les descendants de ceux qui avaient fondé la cité de Narcosis lors du cent soixante-dixième été de cette ère. Certains venaient d’Empersiste mais pour la plupart, c’était la première fois qu’ils se rendaient dans le territoire dans lequel leurs ancêtres avaient vécu.

Waldo de Narcosis était parti quelques jours auparavant. Il aimait voyager seul…

Le long voyage dans le désert avait été apaisant. Avant son départ, il avait laissé le pouvoir aux représentants légitimes du peuple Orcumien, mais il se doutait que les problèmes n’étaient pas finis. Il savait même qu’ils ne faisaient que de commencer. La cohabitation entre les Seigneurs arabites et d’origine Orcumienne risquaient de créer des tensions qui pourraient mener à une guerre civile; il devrait agir en tant que médiateur pour empêcher qu’une telle catastrophe se produise.

Il craignait également une invasion étrangère en Orcum, les Gaediens ne lui avaient pas pardonné son alliance avec la Gramée, et l’Empersite voyait d’un mauvais œil son union avec Dame Leonarda. Il avait du mal à comprendre une telle intolérance de la part de ces-derniers. Sa bien-aimée devait affronter en Empersiste toutes sortes d’attaques verbales injustifiées et de menaces. Mais, maintenant, les tourments de la vie politique en Orcum et dans le Retrahant étaient bien loin.

Il allait réaliser la plus belle chose qui peut arriver à un homme. Le Seigneur de Narcosis allait s’unir avec celle qu’il aimait. Peu importe la tournure que les événements prendraient, il allait réaliser ce qu’il avait toujours espéré. Cela allait pourtant à l’encontre de l’éducation qu’il avait reçu à Narcosis, car sa destinée était de devenir le nouveau Waldo. Il avait été sélectionné très jeune, mais l’endoctrinement n’avait pas été aussi efficace que chez ses prédécesseurs. Il mettait fin à la tradition par cette union avec cette Dame Empersoise.

Il arriva à Liara, plusieurs jours avant les cérémonies. La cité était en pleine effervescence. Les préparatifs monopolisaient la population tout entière. Il demanda audience auprès de Dame Leonarda, mais elle lui fit savoir qu’elle ne pouvait le recevoir. Il insista pour participer à l’organisation des festivités mais il obtint également un refus. On lui attribua une chambre luxueuse dans le château. Il put entrevoir plusieurs fois Dame Leonarda mais elle ne lui accorda pas ne serait-ce qu’un regard. À quoi donc pouvait-il s’attendre de sa part? Il avait appris à la connaître et il l’aimait comme elle était.

Il passa donc les quelques jours à se familiariser avec cette cité prospère en déambulant dans les rues. Il put converser avec les locaux, car, ici, personne ne le connaissait : il passait pour un étranger de passage. Il se rendit compte que la population Empersoise de Liara aimait Dame Leonarda, ce qui contrastait avec la haine que les autres Seigneurs d’Empersite avaient contre elle. Elle était certes très exigeante, ce qu’il avait constaté en plusieurs occasions, mais la population comprenait que c’était pour la prospérité de leur ville. À croire que les Seigneurs d’Empersiste qui avaient pris le pouvoir depuis la disparition de Cyrus Helidjah avaient peu de clairvoyance. Il prit le temps également de chevaucher aux alentours de la cité, les paysages verdoyant étaient bien différents de ceux qui entouraient sa cité de Narcosis et, une nouvelle fois, il pensa qu’il aimerait vivre ici à côté de Dame Leonarda. Il n’aspirait plus qu’à la paix pour réaliser ce rève.

La caravane en provenance de Narcosis arriva le jour précédant l’heureux événement. Ils établirent un campement dans un parc de la cité. Des jeunes Narcosiennes arabites vinrent assister Waldo dans ses préparations pour la célébration de l’Union.

Rzanid était arrivé quelques jours seulement, avant la cérémonie. Ses quatre disciples ayant été assassinés par des fanatiques empersois, il devrait se charger seul des cérémonies religieuses orcumiennes. Deux réunions étaient prévues et dureraient douze heures où le mari et la femme devraient chacun dans leur coin réfléchir à leur acte et prier. Une fois seulement ce temps de jeûne et de réflexion passé, les deux jeunes mariés pourraient se retrouver et communiquer leurs profondes pensées et sentiments dégagés par cette intense expérience où les chemins vers Ndriana s'ouvraient enfin à eux.

L'Akrasia Waldo dû lire un conte en orcumien ancien, une langue aussi douce à l'oreille que le miel l'est dans la gorge, cependant l'histoire était déjà moins belle que le langage.

Il était une fois un homme qu’on appelait Tapris. Il partit rendre ses devoirs à ses beaux-parents. Et là, rendant ses devoirs à ses beaux-parents, il finit par rester habiter…
Ses beaux-parents le retiennent prisonnier dans un cachot dissimulé en plein désert. C’est pourquoi il est interdit aux hommes de la descendance de Tapris de résider chez leur belle-famille. Et c’est pourquoi aussi le bec de l’oiseau-supplieur dégage une si mauvaise odeur.

Voici donc son interprétation rédigée en dessous par un ancien membre de la maison de Zanaryth.

Quiconque veut encore suivre sa femme, à partir d’aujourd’hui, puisse-t-il être piteux ! Que rien ne lui réussisse ! Puisse-t-il avoir une vie chétive, un sort mesquin !

On pouvait donc aisément comprendre que pour suivre les rites orcumiens il faudrait que la femme vienne résider à Narcosis où que les deux parties restent éloignés. Laissant Waldo avec ses pensées, le vieil homme apporta un autre livre, dont l'encre sentait fort la fraîcheur à la jeune femme installée dans une autre pièce. Le contenu était en empersois, où y résidait quelques fautes, le pauvre homme n'ayant pas eu le temps de vérifier ses textes sous l'ardeur du travail causé par la cérémonie.

Laeona, femme aimée des hommes, a été épousée par un roi qui lui a donné beaucoup de bœufs. Son frère tombe malade.
– Reine, ton frère est malade, va là-bas.
– Je n’irai pas car mon mari ne me laisse pas y aller.
La maladie de son frère s’aggrave ; celui qui soigne le malade demande : Laeona ne vient donc pas ?
– Non elle ne vient pas car son mari ne la laisse pas venir ici. Mort du frère.
Laeona dit à son mari :
– Mon frère est mort, que ferons-nous ? quand il était encore malade, tu ne m’as pas laissée aller là-bas, beaucoup de gens en ont parlé.
On ne l’accepte pas aux funérailles :
… Car si elle vient ici nous l’accuserons de sortilège ; quand notre frère vivait, il l’a prévenue, elle n’est pas venue, préférant son mari à son frère. Pars, retourne chez ton mari, notre père n’avait pas de sœur, c’est le seul enfant de son père et de sa mère.
Elle meurt…
Ses parents ne veulent pas récupérer son cadavre. Elle a été mal enterrée… elle est déterrée par les bêtes.
Il vaut mieux être pauvre que sans famille.
La femme habite dans le village de son mari, mais il est normal qu’elle rende visite à ses parents assez souvent.
La femme n’est enterrée dans le tombeau de son mari que si elle a eu de lui des enfants, et même en ce cas, il arrive qu’elle soit inhumée au tombeau de sa propre famille.

Rzanid passa donc son temps à veiller sur les deux jeunes mariés, leur touchant la tête tout en récitant des paroles inaudible pour eux. Ses paroles se voulaient protectrice et emplies de bonheur, cependant, seul le vieil homme connaissait le véritable sens de ses litanies.