Eriomene ed Abe Sur ~ Les Royaumes du Sud

Quelques terres situées au sud du royaume avaient, voici déjà près d'un an été confiées à Erastan, en charge de s'assurer de leur protection et de leur essor dans cette région souvent méconnue et délaissée en raison de sa position peu stratégique. La proximité des marais graméens et les rumeurs en provenance du désert d'Erus lui conféraient cependant, ces derniers temps, un regain certain et l'érection de défenses, tout au moins d'un psote d'avant-garde s'avérait désormais indispensable.

Erastan, jeune paladin de l'ordre d'Erus avait su gagner sa place et instaurer son autorité et son influence sur ces terres par sa détermination et le soutien bienvenue de la cité de Se'Ina. Le prism Isvan avait su prouver sa noblesse et son allégeance à la Kandrasie à maintes reprises et son aide avait trouvé un écho et une reconnaissance certaine auprès des hommes du sud.


Lettre à la Blanche, été 346, Eriomene ed Abe Sur

"Régent Gwalith, prisme et aerobioe, je vous porte les salutations des terres de l'Abe Sur.

Je suis Erastan, paladin d'Erus et vous signe mon allégeance au Royaume, à la Reine, à Elderine et à notre régent. Mon honneur et ma force sont désormais dévoués à votre cause tout comme Erus sacrifia sa vie pour l'Haltar. Je ne saurai être digne de cet exploit divin mais mes actes seront ceux d'un humble paladin qui se déclare prêt à donner sa vie pour la Kandrasie.

Voici un peu plus d'un an, j'ai pris la tête d'un groupe de kandrasiens pour élever un avant-poste près du désert d'Erus, dans les terres du Sud, proches aussi des marais graméens. Il n'est pas encore temps que je m'entretienne avec vous de ces rumeurs que vous avez certainement entendues et auxquelles je ne porte que peu de foi, je désire simplement vous faire part de l'avancée de nos efforts :

Nous avons élevé à l'été 445 un avant-poste kandrasien chargé de contrôler l'accès au royaume en provenance du sud. Quelques bâtisses s'élèvent aujourd'hui autour d'une simple palissade abritant un millier d'âmes. Nous avons eu pour objectif, depuis notre installation, de découvrir de nouveaux gisements de pierre, les mines situées plus à l'intérieur du pays ayant montré ces dernières années leur affaiblissement, l'avenir de nos défenses et de notre commerce dépend aussi du Sud qui a trop longtemps été oublié.

Cependant nous faisons face à un lourd problème qu'est celui du coût de ces travaux et du lourd investissement en hommes, en matériel et en temps. Nous aimerions donc proposer à cette assemblée que tout soit mis en oeuvre pour que chaque cité participe à cet effort, ainsi les difficultés seraient divisées entre tous et il est probable qu'un envoi d'une centaine d'artisans et de spécialistes par cité suffirait à trouver de profonds gisements en l'espace d'une année. Cependant le temps nous est compté et chaque saison passée sans efforts de chacun réduit à néant les efforts des hommes du sud. Nous avons besoin du soutien de la Blanche et de la noblesse pour réussir."

Ce qui n'était qu'un avant-poste aux frontières du Royaume était rapidement devenu une carrière d'ademine. Le petit mont où s'adossaient les quelques bâtisses se voyait déjà orné de multiples cavernes, de mines où quelques centaines d'hommes et d'esclaves avaient déjà péri à la tâche. Un jour qu'Erastan revenait de patrouille en compagnie d'une centaine d'archers, un contre-maître au visage rayonnant accouru à lui : les premiers gisements avaient été trouvés, ils étaient d'une qualité exceptionnelle et paraissaient intarissables.

Le filon affleurait au sud du mont, à quelques centaines de mères du premier emplacement d'Ilsta'Adiad. Les tailleurs de pierre avaient tardé à le découvrir en raison de la proximité d'une rivière qui aurait considérablement gêné la construction des premières défenses de l'avant-poste. Elle fut nommée Thusur. Thusur prenait source à quelques encablures du sommet du mont et le dévalait en un mouvement lent et régulier sur un lit de quelques deux mètres de long.

Les premiers jours qui suivirent cette découverte permirent de se rendre compte d'une idée importante : installer une chaîne de mineurs qui acheminerait les pierres vers l'avant-poste coûtait cher en vies humaines. Le deux-centième mort eut le mérite de déclencher une révolte, rapidement matée dans le sang, la dignité et l'honneur kandrasien. Tout est affaire de sang. Un prêtre qui observait avec attention les préceptes du divin Serul émit alors la suggestion de déplacer l'avant-poste plutôt que les pierres. La brillante idée fut adoptée par Erastan qui proposa une augmentation à un quelconque capitaine d'Erus qui passait par là en quête de récompense : l'armée toujours prévaut et l'histoire retiendra que la stratégie militaire avait encore une fois fait des miracles.

Il fallut un deuxième prêtre pour que le problème de la rivière soit réglé : plusieurs ponts larges l'enjambaient désormais et permettaient d'éviter que les lieux ne soient séparés en deux. Sous l'égide des stratèges d'Erus, une large et étendue muraille s'éleva alors. Deux années furent consacrées à l'aplanissement d'un espace sur le flanc sud du mont : une forteresse s'y éleva rapidement nommée par un sous-fifre paresseux Eterd, l'Eternelle. En quelques mois de multiples habitations remplirent l'espace compris entre la forteresse et la muraille. Une fois encore un prêtre de Serul eut le dernier mot en soulignant qu'une autre muraille aurait des atouts certains si elle permettait de protéger en plus la zone d'extraction minière située en contre-bas.

C'est à peu de choses près à ce moment là que les premiers problèmes apparurent.

Ce furent tout d'abord des réfugiés qui vinrent en grand nombre vers la nouvelle forteresse des terres du sud. Ils racontèrent les horreurs commises par des bandes armées et incontrôlables. Bientôt Ilsta'Adiad devint trop peu puissante pour faire face à une telle arrivée de population et il fut nécessaire de faire venir des autres cités kandrasiennes des caravanes de blé et de céréales. Le désert entourant le mont ne permettait guère de cultiver suffisament de champs pour tout le monde et la situation en Abe Sur ne faisait que se détériorer de jours en jours.

Erastan fit alors appel à son ordre, le patriarche prenant la décision de faire venir quelques milliers d'hommes de la cité de Se'Ina pour répondre aux troubles. Les hommes d'Isvan parvinrent à rejoindre ceux d'Erastan un bon matin. Les deux milles archers du Paladin d'Erus participèrent alors à de nombreuses escarmouches, purgeant les lieux et s'assurant au mieux que pas un fanatique n'en réchapperait. Ilsta'Adiad se transforma en l'espace de quelques semaines en une gigantesque fourmilière : un flot incessant de réfugiés franchissant les épaisses murailles dans un sens tandis que des colonnes de soldats descandaient le mont dans l'autre.

A l'hiver 451, le patriarche rappela ses troupes. On racontait que l'ennemi avait été repoussé jusque dans le désert d'Erus où des oasis éparses lui offraient un accueil chaleureux. Ce n'est que quelques semaines après le départ des homems d'Isvan que Ilsta'Adiad connut son premier test. Au matin une colonne de réfugiés était annoncée au Sud du mont, quelques cavaliers s'étaient empressés de la rejoindre et de l'escorter jusqu'à la ville, Erastan aurait de nouveaux récits avant la fin de la journée. Ils franchirent la première enceinte peu après le repas des troupes et rapidement se déployèrent, rejetant leurs oripeaux, dégainant des rapières et passant au fil de l'épée tout garde qui prenait l'air. Déjà la deuxième enceinte se garnissait d'archers tandis que les lourdes portes se fermaient. Les assaillants portaient un crâne noir en guise de tatouage sur leurs vêtements. Un premier bélier fut formé à la hâte dans leurs rangs et tenta de s'emparer de la place forte. Aucun survivant ne fut à déplorer mais les rnags des archers, systématiquement fauchés par les traîtres du bas des remparts commençaient à s'éclairsemer. La deuxième tentative vit la porte trembler sur ses gonds et montrer des signes de fatigue mais la citadelle tenait bon. Au loin les défenseurs virent alors une compagnie de plusieurs centaines de soldats regagner à la hâte le mont. Pris dans l'étau les thanéites succombèrent rapidement : Ilsta'Adiad avait tenu, l'Eterd était resté inviolé.

Les Royaumes du Sud, Eriomene ed Abe Sur savaient désormais que Erus protégeait son peuple à Ilsta'Adiad, la demeure de roche.

Ilsta'Adiad avait été fondée 60 années plus tôt par un jeune paladin volontaire, Erastan qui était parvenu à en faire une cité avant tout prospère. Siège des joutes retranes, lieu de rassemblement pour les disciples de Serul et d'Erus, une citadelle s'était élevée là, fière et dressée vers le ciel, entourant un Mont Gris. A son sommet un dernier bastion, l'Eterd devait servir de dernière barrière face à la sauvagerie qui souvent ces dernières années était venue de l'Empersiste, du Ciran ou encore de la Gramée.

La mort d'Erastan amorça le déclin de cette cité marchande. Les navires assaillis par des bâtiments pirates organisés, des convois massacrés et détournés par un nom qui circulait telle une ombre : Azenora, la cité se tourna alors vers le seul capable de la protéger et d'amener de l'ordre dans ce désastre qui s'avançait jour après jour. L'avènement de l'ordre d'Erus annonça alors la fin des libertés et surtout fit amorcer à la ville un virage à 180 degrés : de puissance économique elle devint puissance militaire et politique.

Assassinés en Gramée, en Aevenspir et enfin au Beilan, les émissaires d'Ilsta'Adiad furent représentatifs d'une cité présente mais faible, si faible face aux ennemis du Royaume. Volontiers espions voir assassins, ces émissaires tombèrent rapidement dans l'oubli face aux autres grandes menaces du Mont Gris. Dirigé par un Régent invisible et incapable, la Blanche était depuis longtemps affaiblie face aux grandes maisons de Kandrasie. Naemis et Ilsta'Adiad se livraient à un duel à distance d'influences, de traîtrises et de semi-escarmouches. Quand Kanos quitta l'abri de sa forteresse celle-ci fut pillée par l'ordre d'Erus à la tête de la plus puissante cavalerie levée par l'ordre. 43 000 cavaliers déferlèrent dans les plaines du Royaume pour se livrer à une vengrance lentement mais froidement calculée. Puis vint l'heure de la fin.

Répondant aux massacres de ses ambassadeurs, soutenue une fois n'est pas coutume par le représentant de Naemis, la Cité du Mont-Gris entra en guerre contre les terres de Gaed. La Kandrasie parvint à s'unifier sous la bannière d'Elderine, d'autres nations se joignirent à cette croisade contre le mal. L'honneur de la Kandrasie ne pouvait plus être encore une fois bafoué. Et puis, la victoire était à quelques pas de là, il suffisait d'une bataille, une vraie pour que l'ennemi ploie et succombe à ses actes de bravade et ses insultes.

La trahison vint de l'Aevenspir. Dans le plus grand secret, les hommes d'Ephyne la capitale empersoise se rendirent au Beilan, au siège du Saint Ordre. Là les armées convergèrent vers l'endroit qui avait été choisi en secret et après plusieurs semaines de déplacements conjugués, bien heureusement informés du moment exact de l'armée des forces coalisées, les gaediens attendirent de pied ferme les armées libératrices.

L'Ordre d'Erus parvint aux pieds de la forteresse à la tombée de la nuit. Des cris de mourants leur parvinrent dans un premier temps. Puis leurs yeux s'habituèrent et ce qu'ils pensaient être des buissons fut finalement un amas innombrable de cadavres décharnés. Les bannières de Kamo, les compagnies d'Argan étaient déjà tombées, l'ennemi était venu au devant de la coalition, l'empêchant de se réunir avant de lancer un assaut. Quelques ordres furent donnés, les troupes d'élites menées par les patriarches de Serul, d'Erus et d'Erélian entamèrent une savante manœuvre de repli tandis que déjà les premiers tambours résonnaient dans les montagnes des FroidMarches. Oeuvrant piur le salut de leur peuple et de leur cité, les kandrasiens regardèrent ceux qui leur faisaient face. Nul Aevenspir, nul Fironkois, nul graméen et nul ciranien ne les accompagnaient. L'Ost du Régent était elle aussi bien absente du terrain de bataille. Et surtout il était trop tard. Trop tard pour fuir, trop tard pour être lâche, trop tard pour salir encore une fois cet honneur qui leur avait été donné en les nommant kandrasiens. Ils ne pouvaient même plus se réfugier dans leur peur et la honte. Seule la mort leur était proposée.

Les archers se placèrent en ligne tandis que 20 000 cavaliers survivants des famines du voyage se plaçaient en ligne. Chacun regretta que leur nombre ait pu être divisé par deux par la simple main d'Erus, on ne leur laisserait donc même pas la dignité de mourir ensemble, nombreux et puissants. On ne leur donnerait pas l'honneur d'admirer leur majesté et leur force. On ne ferait que les tuer et les oublier, encore une fois. Brûler leurs cadavres, leurs noms et leurs espoirs. Les lignes ennemies étaient loin, tellement loin. Les lanciers avaient dressé leurs piques attendant le choc contre leurs montures. Les épéistes attendaient le signal pour couvrir les archers et marcher en mêlée contre les survivants. Mais cela ne leur fût pas accordé. Aucun d'entre eux ne franchit le champ de bataille vivant. Ils étaient trop peu nombreux, trop esseulés, trop abandonnés pour espérer que l'on retienne autre chose qu'une mort désespérée et vaine. Quelques cavaliers furent envoyés en arrière prévenir les retardataires. Qui sait qui pourrait être sauvé. Ilsta'Adiad était en tous les cas perdue. La Demeure de Roche avait vu les siens s'effondrer pour la dernière fois. Tombée sans être assiégée, perdue sans avoir été menacée. Son rêve n'était plus désormais qu'illusion, sa fin n'était plus qu'une anecdote des parchemins de l'histoire. Une trace infime relatant un caillou dans le désert qui n'aura eu d'autre utilité que d'être, qui n'aura eu d'autre futilité que de se croire plus. Ilsta'Adiad n'était plus.