Le bâtiment, à flanc de colline, était composé de deux ailes perpendiculaires fermées qui renfermaient les logements, les espaces domestiques, une bibliothèque et des salles de travail. L'aile ouest se prolongeait en une terrasse couverte ceinte de colonnes de Kantîd, la pierre locale. Le style du bâtiment, assez proche de celui présenté dans les anciennes cités kandrasiennes d'avant le pillage gaedien, paraissait aussi plus épuré et d'une certaine manière plus noble malgré un choix évident d'éviter le luxe ostentatoire qui avait fait la fierté des Hommes de l'ancien temps. De cette terrasse on pouvait observer une grande partie de la cité, s'étendant plus bas sur la colline.
Le fleuve passait en contrebas, séparant la ville en certains endroits et créant des espaces naturels de verdure irrigués. Ces petites touffes de verdures donnaient l'impression d'une cité née de la nature et peinant à s'en défaire. Plus bas le fleuve se jetait dans la mer, guidé par des jetées qui l'escortaient jusqu'à un large et impressionnant port commercial. La anse naturelle formée à cette endroit était refermée par une île toute en longueur où seules deux tours témoignaient pour le moment d'une occupation humaine.
Les enfants étaient assis à même le sol, la prêtresse tournant le dos à la cité et guettant les réactions à ses paroles de ces pupilles. Celles-ci ne tardèrent guère :
"Mais, Mère Isowen, pourquoi avoir fui ? N'aurions-nous pu fortifier Börm comme nous l'avons fait à Rhean ?"
La vieille prêtresse soupira tandis qu'elle se remémorait ces évènements.
"N'oubliez pas que tout cela s'est déroulé voici près de 23 ans aujourd'hui. A l'époque notre peuple était bien faible, miné par le voyage depuis l'Ancienne Kandrasie et par les malheurs qui l'avaient provoqué. Nous n'avions guère de ressources pour nous défendre, les bormiens nous haïssaient et nous venions de perdre Rhean, notre première Aïeule.
- Et que s'est-il passé ensuite ?
- Et bien c'est la Mère Ilith, l'Aïeule mère de Mabe qui a pris la direction des opérations. Elle était déjà conseillée par Elwna, notre Mère des Traditions que vous avez vue voici une lune lors des fêtes de Thisa. Notre peuple a quitté Börm a la nuit tombée, les fironkois n'osant même observer leur départ à la lumière des torches. Nous formions une colonne triste et silencieuse tandis que le corps de Rhean nous guidait en tête de procession, posé sur une charrette. Quelques fironkois se sont joints à nous, dont l'homme d'Elwna, et bien d'autres encore. Ils étaient fidèles à l'ancien Commandeur décédé et n'auraient reçu que la mort en restant à Börm. Nous avons alors trouvé cette terre et choisi d'y fonder la cité.
- Et pourquoi là et pas ailleurs ?
- Vous n'avez jamais réfléchi aux paroles des berceuses, mes enfants ? Elles racontent comment les femmes enceintes ont accouché précisément à l'endroit où s'élève aujourd'hui le temple de la Grande Déesse. Notre peuple s'est agrandi ici et a choisi d'y rester pour reconstruire un monde à son image.
- Et est-ce qu'il est vrai que les hommes étaient autrefois des prêtresses-hommes ?"
Toutes les autres filles pouffèrent de rire tandis que celle qui avait posé la question rougissait de confusion.
" Ne t'es-tu jamais demandée pourquoi nos ancêtres avaient été vaincus de manière aussi définitive par les gaediens ? Ils ont succombé à cause de leur orgueil, de la fierté qu'il y a chez tous les hommes, qui circule dans leur sang.
Ceci était la morale de la leçon d'hier mais visiblement vous ne l'avez pas encore bien comprise : les hommes sont faibles et pareil aux animaux ne rêvent que de se battre entre eux. Ils doivent être protégés d'eux-mêmes et de leurs pulsions. Occupez-vous de vos frères en vous attachant à ce qu'ils écoutent les paroles de la Grande Déesse et de notre Aïeule, nous devons les guider pour qu'ils n'amènent pas une nouvelle fois notre peuple à la mort.
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