En cette matinée d'hiver, Radadjathaïadah était comme à son habitude, en pleine effervescence ; la ville basse et ses ports fluviales, ses carrières de pierre et ses marchés ambulants ainsi que la ville haute avec ses innombrables commerces et marchés couverts. Au milieu de cette foule immense et colorée, les Kjrads avaient du mal à se frayer un chemin et il revenait à l'Ansar Lieutenant de faire repousser les passants au son des tambours.
* Boum, boum, boum *Remontant la Serpentine, cette grand'rue allant jusqu'au Palais, plus de trois milles hommes en arme défilaient tandis que les commerçants et les passants arrêtaient leur activité pour apprécier leur démarche cadencée et la beauté de leurs vêtements. Le Grand Tiram Klébr Rem'Ia avait su redonner un sens à leur vie et s'était intéressé à bien des choses, allant même jusqu'à choisir les parements des armures de ses Kjrads afin d'en faire les plus belles armées de Retrahant.
Sous la voix puissante de l'Ansar Lieutenant, l'épaisse porte du Palais fut ouverte et le flot de soldat se déversa dans les immenses jardins bordant la palmeraie et l'orangeraie dynastiques.
" Fils du Siâle ! Force et Honneur ! "
Se tenant comme des piquets, les hommes se rangèrent alors, faisant face au patio d'où devait arriver leur monarque. Cependant, et sans doute en raison de sa malice, ce dernier arriva par la même porte cochère qu'eux et les nargua avec son bâton de marche.
" Et bien, soldats, vous tournez le dos à votre Grand Tiram ? "
Les hommes, habitués depuis une dizaine d'années à suivre un entraînement quotidien dans une rigueur digne du Siâle semblèrent totalement perdus et attendirent une réaction de l'Ansar Lieutenant qui tarda à venir. Finalement, aucun homme bougea et le Prophète les passa en revue, son sourire coquin aux lèvres.
" Markir, seront-ils prêts pour le combat ? Beaucoup me semblent bien chétifs pour partir si loin.
- Ils ont été choisis selon vos exigences Prophète, tous ont servi au moins depuis cinq ans dans votre armée et chaque Kjrads est déjà montée dans les Hauts-Plateaux. Ils sont prêts et feront honneur à notre peuple. "
Circonspect, le Grand Tiram laissa passer un temps, profitant de ce laps de temps pour caresser la longue barbe ondulée et broussailleuse.
" En espérant que ta prétention ne nous perde pas Markir ; puisse Zanaryth veiller sur ces hommes comme il a veillé sur moi durant toute ma vie. Je prendrai donc le commandement de cet ost et accomplirai mon devoir.
- Prophète... Êtes-vous, êtes-vous, enfin je veux dire, était-ce...?
- Je ne me trompe pas, je sais interpréter les signes. L'Oracle énonce que les Loups viendront un jour à reprendre vie et que le Siâle en sera le terrain de chasse. Le prix du sang, le sacrifice des nôtres permettra de nous sauver et d'éviter la destruction prochain. "
Reprenant la revue des hommes, Klébr s'arrêta devant un archer plus jeune que les autres.
" Quel âge as-tu mon enfant ?
- J'ai déjà 16 ans, Grand Tiram, mais je sais viser mieux que beaucoup ici, ma vue ne me fait pas défaut et mes réflexes me permettent de tirer bien plus rapidement que les hommes de votre garde. "
Encore une fois, la prétention de savoir mieux faire était palpable, l'arrogance presque perceptible ; néanmoins, le vieil homme se tut et conclut par ses dernières indications. Tous savaient qu'ils partaient à la guerre mais aucun n'avait idée de l'ennemi, la présence de leur Grand Tiram près d'eux suffisait à les apaiser et beaucoup disaient qu'une action contre les Diospyrs était envisagée, bien qu'il fut question d'une entreprise bien plus conséquente. Le petit contingent quitta alors la cité pour l'ouest, ne devant s'absenter que quelques semaines.
Alors que les plaines Kandrasiennes n'étaient plus très loin, le Grand Tiram ordonna que les hommes aillent vers le nord durant une réunion dans sa tente.
" Ansars, il n'est plus question de nous porter vers la frontière Kandrasienne mais d'aller affronter les scrijii, bien plus au Nord. Ndriananaharyth m'a averti assez tôt pour que nous prenions les devants, nous ferons donc selon la volonté du Divin. Vous trouverez avec le fourrage et les vivres de quoi faire revêtir chaudement vos hommes pour poursuivre notre route. Nous devrons traverser le Ciran avant d'atteindre les Monts Glacés mais j'ai bon espoir que nous y parviendront sous peu. "
Et c'est ce qu'ils firent. Osmad qui fut longtemps une puissante Capitale était aujourd'hui abandonnée et aucune faction ne se trouvait à la frontière, ni dans les terres, permettant ainsi à l'ost de s'approcher de son objectif bien plus facilement qu'escompté, permettant d'éviter que ne soit entamé le moral des hommes ; il ne fallut que vingt jours pour parvenir jusqu'aux premiers cols conduisant jusqu'à Eskadner. Malgré l'été, le froid était toujours présent sans pour autant être dérangeant, seul l'atteinte de Kharaz'hazzspir avait désormais de l'importance.
Les esprits guidaient avec sérénité le Grand Tiram qui avançait grâce à son étude du ciel et les vieilles cartes qu'il disposait de par son héritage familial. Si les chances d'atteindre cette première cité troglodyte étaient minces, sa détermination et sa créance profonde dans la réussite de cette campagne lui permettaient chaque jour de se sentir plus près de son objectif.
Deux jours après une terrible pluie les ayant retardés au milieu d'un défilé abrupt, ils atteignirent enfin la tanière de celui que l'on dénommait Drijther. Les sentinelles n'avaient vu aucun signe de vie autour des voies d'accès ce qui tendait à prouver que la ville était abandonnée depuis fort longtemps ; beaucoup d'ailleurs, louaient déjà Zanaryth pour cette bénédiction mais le pragmatisme de leur Guide les ramena à la raison.
" Vous dîtes que personne ne vit là ?
- Oui, Prophète. Les portes ne résisteraient pas à une attaque et nous n'avons vu personne sortir de toute la journée.
- Et vous pensez que les champs sont si différents en Aevenspir qu'ils vont à se cultiver seul ? Si ces portes ne sont pas assez épaisses que chez nous, c'est car personne ici ne croirait qu'une armée viendrait combattre et si vous n'avez vu personne de la journée, c'est peut-être que les choses à faire à l'intérieur sont bien plus importantes.
Nous attendrons le crépuscule pour attaquer. Dites aux montés et aux kaetîs qu'ils ne serviront à rien, ce sont de bons athaos mais je préfère combattre avec mes ptayzîs. Je ne sais pas comment sont ces grottes et je ne voudrais pas risquer de perdre toutes les Kjrads parties pour l'Aevenspir. "
Alors que le soleil quittait les crêtes des montagnes les plus hautes, Klébr prépara ses hommes à l'assaut, les bénissant par groupe de dix et les enjoignant à prier pour leur salut. Il serait bientôt l'heure du combat et ils ne devaient pas décevoir Zanaryth.
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