[Ephyne] Confederation

Eulalie se releva à son tour. Elle rougissait à cause de l'importance que lui portait à présent l'assemblée, et se fut avec une lenteur imperceptiblement maladroite que la jeune demoiselle traversa une partie de la salle, faisant s'animer les boucles noires de sa coiffure raffinée, les larges manches de sa robes. Cependant, le fait qu'un individu de haute extraction, de la gent féminine qui plus est, la calmait.

"D'après vous, ainsi donc, les Graméens auraient pu être la cible de vos attaques comme les Beilanais le furent. Voilà qui fait perdre le solennel de votre vengeance...

Quant aux lois de la guerre et à la prétendue cruauté des ostes empersoises, j'espère que c'est là quelque subtile ironie. Les Empersois ont fait payer à la Kandrasie sa félonie ; nous nous sommes vengés de l'attaque que vous lançâtes sans motif aucun, sans déclaration de guerre, à trois pays sur l'un des lieux saints de la Gaedienté.

Bref, les soi-disant nations libres de Retrahant semblent ne pas avoir assez d'honneur pour ne pas attaquer traîtreusement le royaume de l'Elbre et la dynastie de Beila qui, s'il est vrai qu'ils dominent le monde par leur prospérité et leur puissance, n'ont jamais imposé à d'autres peuples la parole de Gaed. Nous partîmes en effet en Gramée, mais c'était pour l'intérêt du monde civilisé dans sa totalité, afin d'abattre une bête sauvage qui dévastait sans scrupule toutes les terres viables, dont la vôtre et celle du Karsper de Kaswr, qui ne sortit d'ailleurs jamais vivant des geôles de Melit-Aend.
Et quant à l'affaire des fameux "diplomates" de Messire Erastan, le seigneur mon grand-père le Roi Daekarn avait fait ce qu'il est juste de faire aux espions."

La jeune kandrasienne, pas plus que ses congénères, ne semblait visiblement pas comprendre les relations liants le Saint-Ordre, la couronne beilanne et le trône empersois. Aux yeux des étrangers, le Saint-Ordre semblait avoir tout pouvoir sur les terres de Gaed, et ils avaient sans doute raison, du moins en apparence. Mais ces derniers n'avaient visiblement rien compris au pourquoi. Depuis la dernière guerre entre Ephyne et Beila, la structure du Saint-Ordre avait changé et n'avait plus grand chose en commun, du point de vue de son organisation, avec le Saint-Ordre des débuts. Ce dernier avait désormais à sa tête des archevêques venant des différents royaumes gaediens, or ces hommes n'avaient aucune chance d'arriver à cette position ni l'espoir d'y rester sans le soutien total de leur monarque respectif. Aussi les différents dirigeants gaediens semblaient s'effacer derrière le Saint-Ordre, mais en réalité, ils le contrôlaient dans les grandes lignes à leur guise en sous-main. Le rôle premier du Saint-Ordre était d'unifier les gaediens sur le plan spirituel et de faire en sorte que les terres de Gaed ne tombent pas en de mauvaises mains suite à un coup du destin. Pour cela il recevait tout l'appui nécessaire des différentes couronnes, mais pour le reste, ce dernier n'ayant guère les moyens propres pour entreprendre une action d'envergure tout seul, il dépendait du bon vouloir de ces mêmes couronnes. Cela donnaient parfois lieu en son sein à des débats houleux à côtés desquels les discussions de l’Assemblée d’Ephyne auraient pues paraître ennuyeuses, les différentes factions faisant valoir ses intérêts avec acharnement. Les dirigeants gaediens avaient depuis longtemps compris qu’il était dans leur intérêt d’afficher une position commune et s’efforçaient d’arriver à un consensus derrière lequel ils se rangeaient. La politique interne gaedienne était donc plus compliquée que ce que les étrangers le pensaient et leur méconnaissance de cette dernière étant un avantage pour les gaediens qui jusque là les avaient laissé croire ce que bon leur semblait. L’espace d’un instant Märkus pensa à se lever pour expliquer certaines de ces choses à l’Assemblée et faire le point sur certaines affirmations fausses à son égard. Cette jeune kandrasienne croyait-elle sincèrement qu’à son âge il s’était rendu à Heffdim pour se tenir les armes à la main au côté de ses alliés et qu’il avait ensuite chevauché en Kandrasie comme au temps de sa jeunesse ? La vérité était autre. Il avait donné les ordres bien sûr, mais c’était son petit fils, qui, chose courante parmi les nobles, portait le même nom que son aïeul, qui avait mené et commandé l’armée d’Ephyne à Heffdim. Le prince Märkus, bien qu’encore jeune et ayant encore nombre de choses à apprendre, s’en était bien sorti songea l’Empereur qui se tenait non lui de le lui dans la loge impériale. Son père étant mort quelques années auparavant, c’était lui qui succéderait à son grand père sur le trône de la Belle le moment venu. Il avait prouvé sa valeur lors de la bataille et les beilanais lui seraient reconnaissant de cela à l’avenir. La succession ne poserait donc pas de problème de ce côté là. Quant à la chute d’Elderline, bien que des troupes d’Ephyne y aient participé, elle était l’œuvre de l’ambassadeur Berëth qui avait magistralement dirigé la campagne. Encore jeune, il était l’autre grand espoir de Märkus pour l’avenir de l’Empersiste.
Märkus essaya vainement de se lever mais les forces n’y étaient pas. Il balaya une fois encore l’Assemblée du regard, repensa à la première fois où il s’y était exprimé, puis il ferma les yeux. Un profond lassitude l’envahit, puis très vite plus rien, le néant. Rapidement les conseillers qui l’entouraient remarquèrent son état et s’agitèrent en vain autour de lui.
« Il est mort... » déclara tristement l’un d’entre eux peu de temps après.

Lorsque le conseiller annonça la triste nouvelle, Bëreth n’en crût mots… Il se précipita vers l’homme qu’il servait loyalement depuis sa majorité, et ne pus que se résoudre à son décès. Les yeux ne masquant pas sa profonde tristesse, il se tournât vers l’un des conseillers :

- Qu’on aille chercher une litière, pour que son long repos mérité débute dés a présent.

Puis s’adressant a l’assemblée, où des murmures commençaient a s’élever, il dit :

- En ce jour de débat, l’empereur Märkus… Est mort. Afin de respecter ce moment de deuil nécessaire a tout l’Empersiste et toute la Gaëdienté, j’ajourne cette assemblé. Je pense que vous avez tous vos maîtres a prévenir, pour ceux qui les représentent.

Puis s’adressant au représentant de l’ordre saint :

- L’empersiste pourra-t-il compter sur notre saint père lors des obsèques de feux l’empereur ?

N’attendant pas de réponse, il accompagnât la litière qui quittait à présent la salle.

Erus le juge.

Ewa prît congé de l'assemblée escortée par ses suivantes.

Eulalie éprouva elle aussi un drôle de tressaillement. Un frisson. La mort d'un homme aussi puissant alors qu'une guerre s'était amorcée ne disait rien qui vaille, et surtout, l'extinction de l'Empereur Marküs, un homme aussi vieux que le monde, semblait irréelle. Enfin, la jeune n'aurait jamais cru ce seigneur pouvoir mourir ici, ainsi, au milieu d'une foule de seigneurs ou de bannerets s'invectivant les uns les autres. Vivre par l'Assemblée, mourir dans l'Assemblée... Jetant un dernier regard à l'impérial cadavre, elle s'effaça, espérant que son grand-père jouisse d'une mort plus guerrière.

Alors que l’Assemblée principalement gaedienne s’agitait, le représentant d’ Esweer Sperilt était perdu dans ses pensées.

Le rideau pouvait se baisser, la tragédie finissait de la façon la plus classique, le Roi trépassait. Le meilleur moment avait été les interventions des vierges. Il avait adoré l’étonnement d’une des deux délurés, s’interrogeant sur l’absence de la noblesse des divers territoires à l’assemblée retrane. Ignorait-elle l’absence de débat depuis plusieurs décennies à Ephyne ?

Il arrêta de donner libre cours à des considérations futiles et se concentra sur des choses plus pratiques. Personne n’ignorait l’importance du Saint Ordre, peu importe celui qui tirait les cordes de cette confrérie dédiée à Gaed. Chose inconcevable pour un aevenspeerr, comment une secte vénérant un dieu mineur, certes représentant une croyance assez répandue, pouvait prendre une telle importance justifiant le fait que l’on puisse affirmer, sans que personne ne le conteste, que l’agresser revenait à attaquer la divinité elle-même. Il était persuadé que son Eksper avait conscience de la portée symbolique de l’attaque envers cette cité que les Gaediens qualifiaient de sainte, mais n’avait pas mesuré la portée théologique. Portées théologiques sincères ou exploitées selon les intervenants gaediens présents…

En conséquence, il décida de conseiller à son Eksper d’envoyer une délégation prendre contact directement avec les moines de cette confrérie, en évitant les autorités légitimes de chacun des territoires gaediens. Justifier l'excursion belliqueuse de son peuple et obtenir la tête de ceux qui se réclamaient des vieillards Andurinel et Mélissandre ayant trouvé refuge en terre gaedienne devraient en être les motivations…