Mariage

Accoudé à une rambarde, le jeune Empereur regardait pensivement depuis quelques temps déjà un groupe de jeunes femmes qui avait semble-t-il pris possession pour l’après midi de l’un des ces nombreux patios dont regorgeait le palais impérial. Toutes sans exception étaient de haute extraction et avaient été envoyé par leurs parents, nobles d’Empersiste ou alliés du trône impérial, pour parfaire leur éducation à la cour d’Ephyne. Lascivement installées sur de luxueux divans autour de rafraîchissements et de mets délicats, les demoiselles semblaient absorbées au plus haut point par leur conversation, sans aucun doute de la plus haute importance, si bien qu’aucune d’entre elles n’avait remarqué la présence, non loin de là, de leur hôte. Mais parmi toutes, seule l'une d'entre elles retenait l’attention de Märkus.

Quelques jours plutôt un émissaire royal était arrivé de la Cité sur l’Eau. Il était porteur d’une proposition du Roy Daekarn, son plus puissant allié, qui lui proposait la main de sa petite-fille pour sceller par de nouveaux liens une alliance dont ils pouvaient difficilement se passer l’un comme l’autre. Ses conseillers, dont la plupart avaient déjà officié sous le règne du précédent Empereur, lui apprirent que ce mariage faisait parti des desseins de son grand-père et que des négociations avaient déjà eu lieu entre Ephyne et Beila. Il lui expliquèrent également qu’un contrat de mariage réglant la question de la dot et des concessions diverses était prêt depuis longtemps déjà et que, même si en tant que nouveau seigneur d’Ephyne, la décision de donner ou non des suites à cette proposition lui appartenait désormais, une réponse négative serait une erreur stratégique monumentale et un terrible affront pour les beilanais. Suivant ces conseil, il envoya en retour un émissaire à Beila pour finaliser les accords et il ne lui restait plus qu’à prendre connaissance de l’identité de sa future épouse.

Lorsqu’on lui appris qu’elle allait être envoyée à Ephyne où on la marierait, lui avait-on dit sans donner d’autre précision, à un bon parti de la noblesse empersoise, la jeune Eulalie de Beila, dont les veines étaient parcourues par le sang royal des Sombressources, ne pouvait s’imaginer, pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs, ce que cela signifiait réellement. Sans qu’elle ne le sache, ses moindres faits et gestes avaient été épiées et consignées depuis sa naissance par les sœurs du couvent où on l’avait placée très jeune et on l’avait finalement sélectionnée, selon divers critères, pour être pourquoi pas un jour unie à l’héritier de la maison de Tyrswôl.

Encore jeune, la princesse beilanaise était doté de charmants attributs qui ne pouvaient pas laisser de marbre un homme digne de ce nom, mais Märkus, de part sa position, avait vu défiler dans son lit les plus exquises représentantes de la gente féminine de la Sainte-Cité, aussi cette jeune beauté ne l’impressionnait pas plus que ça. Il trouvait en fait cela plutôt normal et aurait sûrement mal pris qu’on veuille l’unir à un laideron. La jeune fille paraissait bien dans sa peau et semblait faire preuve de caractère et d’assurance lorsqu’elle prenait la parole. Un bon point sans doute, encore fallait-il qu’elle sache ne pas dépasser certaines limites. Märkus l’observa encore quelques temps en pensant à tout et à rien, avant de devoir retourner à ses obligations.

Cela faisait plusieurs mois qu'Eulalie de Sombresource, cadette du prince Draësk née d'une troisième épouse de petite noblesse, séjournait à la cour éphynoise. Elle avait été envoyée par son grand-père sur place afin de trouver un bon parti, chose peu difficile dans la capitale impériale, centre du plus grand pays de tout Retrahant. La prospérité n'était plus un concept ici bas. Les campagnes de Kandrasie avaient rapporté à Ephyne une population d'esclaves travailleuse ainsi qu'un butin conséquent, qui embellit d'autant les cassettes de l'Empereur et les monuments en l'honneur de Gaed et de ses fils tombés.

Malgré le faste de la cour impériale, Eulalie n'avait pas été très surprise. Elle avait passé, une fois sortie de son couvent d'Orgnac, quelques mois en compagnie de ses père et grand-père à la cour de Beila. Les rois beilanais faisaient remarquer leur richesse éternelle en entretenant toute une cour d'artistes et saltimbanques divers. Quel spectacle ! Des troupes entières s'animaient dans les salles immenses des différents palais de la Cité-sur-l'Eau, vastes bâtisses élevées à la gloire des grands seigneurs du Beilan. Ce qui avait surtout surpris la damoiselle, c'était le caractère policé de la cour d'Ephyne. Au contraire de Beila, où le vieux roi aimait à faire maltraiter des ours, Ephyne accueillait les ambassades de toute la noblesse de Retrahant, et les formalités étaient coutume. La courtisanerie un art élevé au rang de sport national. Bien que les jeunes damoiselles préféraient le calme des hôtelleries éphynoises, Eulalie repensait toujours à Beila avec un peu de nostalgie, regrettant les canaux et le caractère sanguin des chevaliers qui accompagnaient la maison de Sombresource.

"Madame, votre père a fixé les épousailles pour l'été de l'année 516, cela nous laisse peu de temps pour les préparatifs."
C'était son conseiller, un vieux serviteur de son père, qui lui avait chuchoté l'information à l'oreille. Elle secoua calmement la tête, continuant de discuter avec une poignée de courtisanes et filles de famille et persuadée que cette nouvelle ferait bientôt le tour d'Ephyne. Bien que calme à l'extérieure, cynique à l'intérieur, sa nature de jeune fille reprenait souvent le pas, et les contes qu'on lui murmurait le soir refaisaient surface. Ainsi elle allait être mariée à l'un des hommes les plus puissants du monde connu, un jeune gentilhomme riche et de bon sang, le plus puissant allié du Beilan et le gardien de la Chambre du Saint, véritable berceau de la foi gaedienne.

Lorsqu'elle apprit par une missive paternelle qu'elle était promise à l'Empereur Märkus II, la fin de cette lettre était ponctuée par un ordre laconique : "Sers ta patrie." Cette formule, aussi dénuée d'élégance et de formalisme qu'elle était, résonnait dans le coeur de la jouvencelle comme une promesse de félicité. Le futur lui prédisait un servage des plus heureux, qu'elle acceptait avec joie.

Se retournant à nouveau vers son conseiller, elle chuchota assez fort pour que ses compagnes l'entendent.
"Le Saint Père célèbrera-t-il cette union ?"
"Rien n'est moins sûr, Dame."

Quelques mois après son départ de la Belle, l’émissaire envoyé à Beila pour régler les derniers détails concernant le contrat de mariage, et notamment le montant exact de la dot, fût de retour à la cour d’Ephyne. Suite au retour de ce dernier tout s’accéléra. Les fiançailles entre l’Empereur et la cadette de la maison de Sombresource furent annoncée officiellement à la fin de l’année 515.
Un peu plus d’un an plus tard, au début de l’année 517, alors que l’hiver laissait place à un printemps précoce, Ephyne fut, une fois n’est pas coutume, parée de ses plus beaux atours en prévision du mariage royal. Depuis plusieurs semaines déjà des personnes de toutes conditions affluées des quatre coins de Retrahant. La quasi totalité de la noblesse empersoise et beilanaise avait été conviée à la cérémonie, mais également quelques représentants de puissances étrangères désireuses de faire table rase sur les événements survenus quelques années auparavant et de profiter de l’occasion pour renouer des liens diplomatiques plus sains. La cérémonie à proprement parlé se déroula dans la Cathédrale de Saint-Horacius bondée pour l’occasion. La ravissante future impératrice Eulalie fit son entrée peu de temps après le début de la cérémonie. Elle traversa sous le regard appréciateur de l’assistance la cathédrale au coude son père Draësk, l’héritier du trône de l’Elbre, qui l’a mena jusqu’à la nef. Là, l’attendait depuis quelques minutes le jeune Empereur d’Empersiste qui avait revêtu un riche manteau d’apparat de couleur pourpre ainsi que l’ensemble des symboles de sa charge pour l’occasion. Après avoir salué discretement son futur gendre, Draësk regagna la place qui lui avait été réservé au premier rang, juste à droite de son père, l’auguste Roy Daekarn de Beila. Rapidement, les jeunes époux furent bénis et unis au nom de Gaed par les plus hauts représentants des Eglises empersoise et beilanaise qui officièrent côte à côte. La fin de la cérémonie fut également des plus classiques et se déroula sans encombre jusqu’à la sortie des époux. Sur le parvis de la cathédrale, une longue procession de seigneurs venus féliciter les nouveaux mariés et offrir un présent se forma.

Cela faisait maintenant une bonne heure que des seigneurs, dont il n’avait jamais entendu parlé pour certain, se succédaient devant lui. Il avait écouté et remercié poliment, à l’instar de sa nouvelle épouse visiblement ravie, chacun des seigneurs pour leurs vœux de bonheur et leurs présents, mais la vérité était qu’il commençait à s’ennuyer ferme même si il essayait de ne rien laisser paraître. Par moment il contemplait sa femme en pensant que sa vie allait en être bouleversée par certains côtés. Durant les quelques mois qui venait de s’écouler il avait eu l’occasion à maintes reprises de l’observer et de s’entretenir avec elle. Il en était arrivé à la conclusion qu’il aurait pu tomber bien plus mal et que la jeune femme cachait un esprit des plus vif derrière son joli minois. Il lui faudrait se méfier de cela s’il désirait éviter certains écueils inattendus… Cela était plein de promesses pour l’avenir et il en remercia Gaed.

Après un moment qui paru interminable à l’Empereur, la procession pris brutalement fin. Le terrible, mais très efficient, maître de cérémonie qui avait tout planifié tel un dictateur avait sans doute décidé qu’il était temps de passer à autre chose, ce dont Märkus le remercia au plus profond de lui. Peu à peu les obligations laissèrent la place à des réjouissances plus libres et ce soir là, malgré la fraîcheur de la nuit, la populace se mêla à la noblesse et la fête gagna la Belle dans son ensemble.