Noire nuit en Kandrasie

La nuit tombait sur Yoderis. De la salle du conseil de la ville, Elwin observait les ombres s'allonger sur le lac. C'etait l'heure qu'il préférait, entre chien et loup, et il se réservait d'ordinaire toujours un moment pour admirer le Miroir de Ris adopter les couleurs du ciel. Mais pour l'heure, de biens sombres pensées l'accaparaient trop pour qu'il puisse vraiment profiter du panorama qu'offrait sa ville.

À regret, il se retourna, appuyé sur son siège, et observa les seigneurs présents. Jusqu'à cette soirée, jamais la table du conseil n'avait encore acceuilli autant de seigneurs, et Elwin se prit à songer qu'il aurait préféré que jamais ce n'eû été le cas. Siégeant à la droite de lui se trouvait Cassius, son père, le visage grave et contrairement à son habitude, muet et la bouche serrée. À ses côtés siégeait son vieux compagnon de guerre, Aiden, seigneur de Tadlor. Sur le visage de celui-ci, la fureur se laissait plus facilement voir, alors qu'il venait d'exposer les raisons de sa présence. À la gauche de Cassius et faisant face aux deux nobles vieillards, attendait calmement Vogarius, seigneur de Haladahir, et son ami Maglen Ersten, de Peyre-sombre. Maglen semblait perdu dans ses pensées, et s'il avait entendu le discours d'Aiden, rien ne le laissait présager. Face à Elwin se trouvait Alia, silencieuse comme à son habitude depuis la mort de son ambassadeur à Elderine. Comme il l'observait, sa sœur releva les yeux, et leurs regards se croisèrent. Elwin lut dans les yeux d'Alia un profond désespoir, mais aussi une résolution plus profonde encore.

"Aiden, ce que tu nous dis est grave." Cassius semblait plus désespéré encore que lorsqu'il avait enterré sa dame, Elandrane de Liegor. "Si Hugald est en Empersiste, alors c'est qu'il a perdu la tête. Lorsque nous avons proposé notre aide la première fois, on nous a traité de pillards. La deuxième, ils ont insulté notre frère Aiden, le traitant de « seigneur paysan ». Et maintenant, Hugald les traite de frères et associe notre Honneur au leur ?" Sa voix avait crû en puissance au fil de ses mots, démontrant si besoin était son énervement. Aiden, à ses côtés, branlait du chef à chacune de ses phrases.

"Père, s'il-te-plaît." Alia sortait enfin de son mutisme. "Tu oublies l'essentiel. blasius a tué mon guetteur a Elderine, et lorsque j'ai demandé des excuses pour sa famille, son seul mépris m'a repondu et un autre de mes hommes s'est fait assassiné en faisant son boulot. Cette ordure a laissé deux familles sans pere et donc sans revenues ... Appelle t on ca l'honneur de Kandrasie ? La pourriture doit etre anéantie et cela se fera l'épée a la main! Son rejeton ne vaut meme pas une mort honorable: il a souillé le mien et celui de mon peuple! Je lui ferais mordre la pouissere et je le rammenerais a Arrast en le trainant derriere mon cheval, et s'il vit encore apres ca les familles en deuil auront droit a le faire souffrir des semaines pour qu'il comprenne avant qu'il parte ce que la vengeance veut dire ... Les actes ont toujours des consequences. J'ai attendu des années. - elle s'echauffait egalement - M'entends-tu? DES ANNÉES. Il m'a fallu envoyer des hommes d'Arrast pour retrouver son corps. Navrée, Père, mais si je suis ici, ce n'est pas pour l'Honneur... C'est pour le sang."

Voyant les veines du visage d'Aiden enfler, Elwin se dit qu'il devait prendre la parole. Le vieux seigneur n'était pas du genre à laisser le sang passer avant l'honneur. Et il n'était pas question de laisser les choses dégénérer encore plus. Alia avait tout d'une Graméenne quand la haine l'enflammait.

"Pere, Sœur, du calme. Les choses devraient nous pousser au chagrin plutôt qu'à la colère. Ma sœur, Kevar était autant sous ma protection que sous la tienne, et sa mort infamante ternit autant mon blason que le tien. Mais c'est de notre Intendant qu'il s'agit. Nous lui avons juré fidélité et amour..."

"Jamais !" Alia avait parlé en meme temps qu'Aiden, et ils se regardèrent un instant, laissant à Elwin l'occasion de reprendre la parole.

"Nous avons juré, vous dis-je. Nous savons tous où nous pousse cette discussion. Au parjure." La voix d'Elwin se brisa. À peine Yoderis avait été rebâtie qu'il devait la mettre en péril. Seul le silence lui repondit, chacun s'impreignant des conséquences de leurs paroles.

"Non."

La voix de Maglen se fit alors entendre. Il était jusqu'alors resté silencieux, et tous les regards convergèrent vers lui. "J'ai juré devant les Dieux fidélité à la Kandrasie, à ses valeurs et à ses Dieux. Le seigneur de Peyre-Sombre se leva. Ses yeux brillaient. Mon oncle m'a transmis sa cité, et cette responsabilité est le plus grand honneur que les Dieux puissent me faire. Je serai fidèle à la Kandrasie quoiqu'il arrive. Je serai fidèle aux serments passés, et plus encore aux Dieux. Mais je ne serai plus jamais fidèle à Hugald. Il a vendu notre honneur pour une poignée de retrahs rammassée sur les cadavres Empersois. Je ne suis pas Gaëdien, je ne suis pas beilannais et je ne suis pas un pillard. Je suis Kandrasien, et comme mon oncle un homme d'honneur. Et si cet honneur fait de moi un rebelle, je porterai ce nom avec fierté. Il dégaina sa longue épée et la posa sur la table. Je ne rengainerai pas cette lame tant que l'emblême d'Hugald flottera sur Elderine."

Alia se leva à son tour, et posa ses épées courtes près de celle de Maglen, sans ajouter mot. Mais malgres sa rage, sur ses joues coulaient des larmes. Aiden fit résonner sa lourde lame sur la table, bientôt suivi de Cassius. Elwin, à la suite de son père, posa son épée sur la table, le visage blème. Vogarius, enfin, fit reposer son Actea sur le bois, et brisa le silence :

"Et à la fin, nous nous retrouverons en l'Eternid."

Tout était dit. Lorsque les dorénavant rebelles se separèrent, tous portaient au bras un brassard noir.