Joutes Retranes

Arnaud de Loye avait lui même un air maussade. Son visage était hâve, et ses yeux vitreux. La foule avait beau le congratuler ou le bousculer, les femmes avaient beau user de leur charme pour se faire remarquer, rien n'y faisait. On eût pu croire que c'était ses deux défaites qui l'avaient plongé dans cette état. C'eût pu même être une simple fatigue.

Pourtant, la suite du baron savait bien que son mal n'était point dû à la nervosité ou les défaites. La cause de sa faiblesse était antérieure au combat.
On lui avait annoncé, avant le début des finales, la mort de son ancien adversaire, le seigneur Enguerrand de Ciran. Il était habitué aux meurtres et à la maladie, il avait déjà supprimé plusieurs personnages rebelles à ses ordres d'un bon coup d'épée. Mais jamais il n'en fut ainsi. Un preux était mort dans son lit de souffrance par sa faute, et nul ne l'avait fait venir, afin qu'il assiste le chevalier...

Cette nouvelle, donc, dépita le baron de Montgalde qui, comme on le sait, fit piètre impression lors des joutes finales. Son maintien était négligé, sa garde faiblarde. On ne l'avait vu dans un état aussi indigne depuis longtemps. Pendant les combats, son esprit dérivait ailleurs. Arnaud pensait à l'agonie de son ancien adversaire et de la malveillance dont il fit preuve. Il n'avait même pas pu demander le pardon ou veiller la dépouille du Cirannien. C'était indigne d'un bon Gaedien vis-à-vis d'un autre Gaedien.

Mayar se sentait supérieur face un simple étranger. Il n’avait jamais entendu parler d’Empersiste, encore moins d’Ephyne. Il connaissait seulement son désert et les siens, trois peuples différents mais tous plus vantards et arrogants les uns que les autres. Sa maîtrise de la lame l’avait propulsée à sa place, à savoir Champion d’Orcum à plusieurs reprises même si son destin n’avait pas été des plus simples. Sous ses grands airs, Mayar n’est ni plus ni moins qu’un ancien esclave d’un Prince-Marchand Diospyr qui a fait de lui sa vedette dans des arènes de combats. Certaines de ces histoires peu glorieuses pour Orcum avaient été narrées en Kandrasie, il y a bien longtemps de ça maintenant. Sa seule science de la lame l’avait permis de s’en sortir, si bien qu’il se pensait maintenant invincible, surtout au milieu de gens qui le connaissaient.

La lice montée ne fut guère glorieuse pour l’orcumien qui chuta au second round, se déboîtant l’épaule. Mais bien trop fier il ne demanda pas l’assistance des médecins qui n’attendaient qu’un signe de sa part. Voyant l’Intendant De Crykas fondre sur lui, arme en main il prit sa chaîne épée et la fit tournoyer en l’air comme une simple cordelette. Cependant, la pique qui se trouvait au bout de la longue chaîne cloutée alla s’enfoncer dans le sol, laissant ainsi l’orcumien sans défense. Voyant que l’intendant pouvait en profiter, il tira de toute ses forces et fit jaillir du sol la pointe en cuivre qui allait frapper le dos de son adversaire. Mayar pensait pouvoir avoir le dessus, mais pas à un seul instant il ne parvint à trouver une faille utilisable chez son adversaire qui avait un panel technique d’attaque et de défense complet. Les deux maîtres d’armes ne pouvaient rien faire d’autre qu’offrir un spectacle grandiose au peuple kandrasien réunit autour de l’arène, scandant le nom de l’Intendant d’Ephyne.

A la fin du combat, l’orcumien tomba sur le sol, se tenant difficilement à quatre pattes en sueur, avec une douleur abominable dans l’épaule. Pourtant, la seule souffrance qu’il ressentait était celle de son ego touché par un étranger, alors qu’il se pensait sincèrement être le meilleur dans ces joutes. Même Brahim n’aurait pas pu rivaliser contre lui. D’ailleurs, Brahim était dans les tribunes, en train de regarder avec étonnement la défaite de son camarade. Le vieux sage qui lui servait de maître d’armes rigolait tellement la chose été prévisible. A force de penser vaincre son ennemi avant le combat, on en oublie de le frapper ! Les deux orcumiens, bien qu’étant triste de voir leur pays quitter les joutes, se retrouvaient satisfaits de voir ainsi une leçon de la vie leur être offerte. Ne jamais jouer le destin à l’avance car il vous aura toujours.

Le champion, quittant l’arène sous les huées du peuple kandrasien baissait les yeux, les médecins tentant en vain de cacher sa colère au public. Il serrait les poings avec force, il aurait eu envie de poursuivre le combat, mais les règles édictées n’étaient pas celles d’un vrai combat, allant jusqu’à la mort de l’un de ses participants. Jusqu’à présent, Zanaryth avait toujours protégé Mayar, ainsi donc il se demanda si son Dieu ne l’avait pas délaissé, honteux de voir un tel comportement venir d’un des siens. Laissant à l’Intendant un simple : " Nous nous reverrons", il s’en alla vers l’ancien quartier orcumien, entouré des siens.


[HRP: Ca vient un peu tard... Mais mes exams ont été une pompe à temps. :HRP]

L'intendant Aectelion premier se releva difficilement de sa dernière rencontre avec le seigneur Arnaud De Loye, le dernier coup du représentant empersois à Elderinefut rude et assez mal placé ; sous les yeux effrayés de ses médecins il souleva son casque pour laisser respirer son visage étouffé par un coup de coude. Il massa longuement le côté droit de son visage laissant son adversaire s'éloigner précipitamment du terrain des joutes et porta son regard autour de lui laissant ses pensées vagabonder quelques instants pour s'éclaircir les esprits.





Une tribune d'honneur s'étalait sur le côté droit des joutes en une esplanade haute de quelques pieds sur laquelle se levaient en applaudissant les plus prestigieux personnages de Retrahant, les représentants des plus illustres lignées de la noblesse kandrasienne et les organisateurs du tournoi. Se côtoyaient les blasons des trois finalistes en une miriade de couleurs et de divers rubans chatoyant de mille feux aux couleurs des héros du jour aux côtés des couleurs de la Kandrasie et de la ville d'Elderine, cité blanche d'accueil pour les festivités qui se poursuivraient jusque tard dans la nuit.

Au nord des champs de joutes se profilaient quelques tentes empersoises qui fort heuresement n'avaient que peu servies, réservées à l'infirmerie, au repos des champions et à l'accueil de divers visiteurs, sommités politiques ou encore charlatans tentant de céder du destin et de la chance aux plus crédules. Ca et là fleurissaient les idiomes les plus usités en Retrahant, un magnifique siège multiculturel s'établissant vers la tente du vainqueur des joutes ; les jeunes demoiselles de la cour d'Elderine succédant en piaillant à qui mieux mieux aux fiers et arrogants grands prêtres de divers religions qui laissaient de côté en ces jours de fête leur légendaire fierté pour quémander quelques instants d'entretien auprès des pages de Dertil de Crykas propulsés gardiens de l'un des plus courtisés sanctuaires de l'ensemble de la Kandrasie.

Que les rues devaient sembler désertes face aux gigantesques rassemblements de population dans les tribunes du peuple ceignant les tribunes d'honneur et le côté gauche des champs de joutes ; des coordonniers côtoyaient des bouchers qui bousculaient les soldats de rangs beilanais venus pour l'occasion ; on ne dénombrait plus les paysans empersois venus prêter main forte aux dames de compagnie et serviteurs de leurs deux champions sélectionnés en finale : une première dans l'histoire de ces jeux qui ravissaient petits et grands faisant entendre dans une ambiance de gaieté et de fête leurs préférences manifestes. Mais le plus impressionnant était sans aucun doute possible la délégation kandrasienne ; l'ensemble de la capitale se trouvait probablement dispatché entre les les six/sept rangées des tribunes et des renforts bienvenus venant de tout le territoire avaient permis de remplir les quelques milliers de places prévues pour l'occasion ; des banderolles s'étalaient de part et d'autre de cet assemblement hétéroclite de professions et de milieux.





De nombreux chants et ballades fleurissaient l'évènement, la plus connue entonnée par tous les kandrasiens égrenait sur l'air d'une vieille comptine paillarde les vers flatteurs pour leur intendant :

Citation :

Champion Champion AEctelion
Venez, venez et balayez
Empersois, réalisez l'exploit
Vainquez notre régent aîné
Mais toujours champion il sera Aectelion

Le dernier flanc des champs de joutes était occupé par les tentes du champion kandrasien et Aectelion Premier tournait son regard vers son refuge où il avait pu jusqu'ici souffler plus ou moins tranquillement entre chaque rencontre. Le rouge d'Elderine s'étendait tel une marée sur l'ensemble combiné des réserves de This Caraïnes, relais pour les messagers nécesaires aux transmissions entre le gouvernement kandrasien et l'intendant, les postes de gardes, réserves d'armes, l'infirmerie ou il considérait déjà avoir passé plus que son content d'heures, son pavillon personnel et enfin un petit temple où siégeait en permanence des prêtres de Kara, d'Erus et d'Erelian, se relayant pour tisser autour du représentant divin en Kandrasie un tissus protecteur divin.

Mais l'heure n'appartenait pas aux prêtres ou aux dieux mais au peuple qui participait à la liesse de tout un monde s'étendant des plaines de kandrasie aux montagnes Aevenspeer, déserts Orcumiens et autres territoires fourmillant de diversité et de particularités locales extraordinaire. Un monde attendait que les champions prennent la parole et le fils de Cadenwarr Arkspel et d'Enia d'Istria se trouvait l'un des seuls à souhaiter donner de son temps à celui qui nourrit, celui qui vétit, celui qui protège, celui qui construit celui qui vit. Il parla avec le coeur, il parla avec le soleil, il parla de paix, de fraternité d'amour. Il parla mais on n'entendit qu'un appel, un chant mélodieux au partage, une tristesse pour les étoiles qui s'éteignaient à jamais, une joie pour chaque étincelle, nouvelle étoile de joie s'allumant dans le coeur assiégé d'émotions des enfants présents. Il parla comme jamais intendant parla et bénit de son verbe les présents loués, les absents regrettés. L'honneur, la droiture avaient encore une fois fait germer les pousses d'un bonheur en Retrahant.

Vive la Kandrasie, vive la Reine et que les cieux nous gardent !

La nuit cédait place à un nouveau levé du jour, encore. La veille avait été pleine d’émotions, de surprises et de festivités. La finale avait été acharnée entre les trois chevaliers, et un podium plus qu’honorable se distinguait désormais. Durant la nuit la plus courte de toutes ces journées de festivités, les organisateurs installèrent un grand podium sur la lice principale, et la foule regagna l’agitation des lices dans le début de l’après midi. La soirée avait été bien arrosée, l’état des jouteurs était donc sûrement quelque peu embrumé. Ils se présentèrent néanmoins devant les organisateurs, soulagés de leurs apparats guerriers. Les trompettes sonnèrent alors et le calme revint dans la grande lice. Les drapeaux des vainqueurs et des deux pays finalistes claquaient au vent, et une foule bariolée de couleurs assistait donc, muet d’admiration, à la remise des prix. Les trompettes s’arrêtèrent à leur tour et le héraut de l’événement prit la parole.

« Pour la troisième place de ces Premières Joutes Retrane, Second Dauphin du Champion Retrane et fidèle chevalier d’Empersiste, le sire Arnaud de Loye ! »

Le seigneur de Loye fut invitée à prendre place sur la troisième marche du podium.

« Pour la deuxième place, Premier Dauphin du Champion Retrane, l’Intendant Kandrasien, le sire Aectelion Premier ! »
« Et enfin pour la première place, le Champion Retrane qui défendra son titre aux prochaines joutes se déroulant à Ephyne, l’Intendant Empersois, le sire Dertil de Crykas ! »

Les deux hommes rejoignirent respectivement leur marche, puis trois hommes arrivèrent pour distribuer gains. Un casque fut donné à Arnaud de Loye, un bouclier à Aectelion Premier et une épée à Dertil de Crykas. Enfin, les organisateurs firent un signe en arrière et trois autres hommes, portant des coffrets de bois sculptés arrivèrent et les ouvrirent respectivement devant chacun des seigneurs.

« Pour Arnaud de Loye, 1000 retrahs pour sa troisième place. Pour Aectelion Premier, 2000 retrahs pour sa deuxième place, et pour Dertil de Crykas, 4000 retrahs pour sa première place.

Messeigneurs et dames, Prism, Trism Reism, ces joutes sont désormais terminées ! Que les vainqueurs soient ovationnés comme ils le méritent !»

Elderan avait observé avec une certaine fascination les combats finaux et ne put qu'être impressionné de voir les différents types de combats être dévoilés face aux contrées de Retrahant comme une guerre finale pour la gloire.

Il n’avait pris place avec les autres seigneurs au sein de la tribune, préférant se poster non loin des charmants commentaires du public et de leur dévouement sans failles à leurs héros respectifs.

Un Touragien fit remarquer que l'Intendant Aectelion, vainqueur face au Baron de Tourage semblait en difficulté dans ses derniers combats. Un jeune Touragien répondit que même Lokhyde Kar aurait eu du mal face à ces guerriers. Le blasphème déplut à un autre qui lança un juron et le foudroya du regard en serrant le poing... Elderan se retourna vers eux et leur demanda de ne point continuer cette conversation. D'un mouvement de bras, tous se turent et oublièrent la scène précédente aussi rapidement qu'elle était apparue.

Debout en avant de la foule, les Touragiens observaient et apprenaient. Grande était l'expérience de ces guerriers, étrange leur culture. Tout aussi étrange, le regard des Kandrasiens et les ragots de la foule vis à vis des "barbares" du Beilan.

L'Intendance Empersoise avait été victorieuse et sortait des joutes, acclamée tout autant que les deux héros Kandrasiens, la foule scandant le nom de l'Intendant Aectelion comme s'il était lui même victorieux en finale.

Les prix furent distribués aux seigneurs vainqueurs, sûrement épuisés et blasés par de longues cérémonies et protocoles à la victoire, et pourtant il n'en paraissait rien. Ces champions semblaient apprécier ce moment particulier comme le retour d'une bataille dont l'épique leur avait donné la victoire.

Le Baron de Tourage attendit le lendemain pour se présenter devant l'Intendant Aectelion et le deuxième dauphin pour leur présenter les félicitations du Beilan, puis enfin l'Intendant Empersois.

...Intendant Dertil de Crykas,

Je me nomme Elderan Kar, Baron de Tourage des Glacées, voix du Roy Drehëran de Sombresource et soldat du Royaume de l'Elbre.

Le Beilan souhaite féliciter l'Intendance Empersoise pour sa capacité déconcertante à avoir vaincu l'inébranlable...

Elderan Kar, froid au regard morne semblait être un géant imposant et barbare. Pourtant son aisance à parler et à flatter rendait la situation assez singulière. Les salutations du haut guerrier des montagnes furent courtoises et il se retira une fois fini, suivi de trois Touragiens au regard tout aussi sombre...