Incident au Siâle

UN chevalier d'Ilhan Waelin ramenait des nouvelles importantes du nord d'après son allure. Flanqué un cheval pur race, il galopa jusqu'au Jadïadah, dans la Baie des Lunes, à Yshlé Lohas. Franchissant sans grande difficulté les premières enceintes de pierre blanche, il dut cependant découvrir son torse et montrer le tatouage caractéristique des Chevaliers d'Utsvholk : la martre Vlos surplombée des trois gouttes de sang du Cléricat Amk'Cherkien.
Pressé, il emprunta des couloirs tortueux réservé aux serviteurs et aux maîtresses, il traversa cuisines et jardins surélevés du palais de son maître pour enfin attendre la pièce où ce dernier résidait. C'était une grande salle éclairée par de larges et grandes fenêtres voilée par des tissus fins et lâches, meublée par toutes sortes de meubles et d'outils aussi élégants que bizarres. C'était l'une des pièces principales que le Jadïadah prêtait à ceux que l'on appelait les Erudits depuis que le siège de leur institut avait été pillé par les Empersois. Manifestement, cette pièce était attribués aux astrologues.

"Alors, Chevalier, quelles nouvelles du monde ?"
C'était Waelin Vlos qui lui avait adressé la parole, ajoutant le geste à la parole en lui agitant son bras libre pour qu'il les rejoigne. Confortablement installé dans une dune de couffins de toutes les couleurs, il discourait en compagnie d'une poignée de savants et buvait ce que les Graméens avaient pris pour habitude d'appeler le Drital d'Quortek, une sorte de breuvage noir qui éveillait l'âme pendant des heures et rafraichissait langue et gosier. Le Jadïadah l'aimait très sucrée et glacée. Et au vu de la grande coupe qui trônait au milieu de la table basse plantée au milieu du chaos de poufs, son seigneur n'en était pas à son premier verre.

"Ilhan. Je reviens de Radadjathaïadah et des oasis. Le Chevalier Dësan et le Seigneur Marian ont annihilé les armées de cette félonne. Les derniers survivants doivent être en train de mourir dans l'immensité du désert."
Sentant qu'un sourire de satisfaction venait poindre sur ses lèvres, le Chevalier baissa la tête vivement, se plaçant dans une position soumise.

"Très bien, très bien, Chevalier. Viens près de moi, et reçois ma bénédiction pour tes Frères et l'armée que vous avez mené à la victoire, par Amk'Cherk."
Le Chevalier s'avança lentement, le souffle coupé par cet honneur. Le maître était de bonne humeur, ou bien lui réservait-il quelque chose. Peut-être était-ce un sort enviable, ou une mort lente et abominable. Il ne le saurait sans doute jamais avant que le maître n'en décide autrement.
S'agenouillant devant Ilhan Waelin, courbant l'échine devant lui, il inspira profondément et leva le regard. Le jeune barbu, dans la fleur de l'âge, était habillé dans le style rem'yshme le plus pur, et sa barbe, parfumé par des milliers de fleurs précieuses, avait été taillée de façon avenante. Prenant d'un main ferme le menton du Chevalier, ce dernier fixa un instant son Fils. Il posa ensuite la main sur le Médaillon, cette pierre précieuse d'un rouge envoûtant et d'une lueur divine qui symbolisait la suzeraineté sur Orcum. Une fois que la paume du maître eut frôlé la pierre, elle alla à la rencontre des lèvres de ce dernier puis rejoignit celle du Chevalier d'Utsvholk.
"Va maintenant, et dis à Dësan de me rejoindre sur l'île que je destine aux Erudits lorsqu'il sera de nouveau ici, j'ai un présent pour lui."

Quelques jours auparavant, au sein d'une fosse des Hauts Plateaux...

Exil du Joyau d'Orcum (musique)

Le Tarakra Helissi, assis sur son dromadaire, représentant de Zanaryth en exil, tenait harnaché aux montures en bois, lui permettant de garder le dos droit, un petit coffret en bois, scellé et ne donnant pas de mine.
L'Oblath d'Yshlé Lohas ainsi que les soldats aux crânes rasés de l'ancienne Garde des Hams et autrefois Harijs chevauchaient à ses côtés en formant une file de quelques dizaines d'hommes en armure, rappelant le prestige et la magnificence d'antan des armées du Désert, le métal cuivré étincelant sous le soleil pesant du Nord Orcumien.

Alors que la première flèche vint se ficher dans la poitrine d'un Garde, les chaîne-lames furent sorties de leurs fourreaux, claquantes avec de nombreux cliquetis, ces armes dont le savoir-faire se perdait avec le temps et la déchirure des peuples du Désert.
Les chevaux Rem'Yshmes se cabrèrent alors qu'un deuxième Garde portait sa main à la gorge, aspirant un flot de sang condamnatoire.

Des bandits sortaient de derrière les rochers tout autour de ce passage étroit au sein des reliefs des Hauts Plateaux, la couleur de leur peau ne laissant aucun doute sur l'origine de ceux-ci.

Des rochers s'éboulant de parts et d'autres de la troupe, les cavaliers se bousculaient pour atteindre les quelques imprudents munis de lames et piques. Les chaîne-lames tournoyaient alors que les membres étaient arrachés dans d'atroces hurlements de douleurs, mais le nombre de cavaliers s'échouant face au déluge de traits et flèches allait grandissant.

Le Tarakra Helissi courbait l'échine, espérant que Zanaryth lui accorde son pardon pour avoir échoué à apporter le coffret aux Puits des Oublis...

Enfin, l'Oblath et ses hommes furent renversés par le nombre, les gorges soigneusement coupées laissant une mort lente, une noyade apportée par son propre fluide vital pourpre... Le Tarakra levait la tête, les mains tremblantes, aussitôt tiré par un homme puissant et nauséabond, transpirant comme jamais sous la chaleur torride et l'assaut mené à la victoire par lui et ses hommes.

Puisse Ndriananaharyth me pardonner d'avoir fait montre d'autant de faiblesse dans cette mission... Puisse la Déesse m'apporter la force de subir le châtiment de mon échec... Puisse l'Orbe apporter malheurs et morts sur votre peuple...

Il tremblait et se rendait compte qu'aucun des hommes autour de lui n'avait compris ce qu'il avait dit. Ils n'avaient daigné envoyer un Orcumien, au moins un seul du Désert.

Le souffle court, son coeur sur le point de lâcher, il perdait petit à petit ses sens alors qu'enfin il perdait la vue, ses membres pincés jusqu'à ce qu'il en perde la voix, le coeur ralentissant, les membres s'engourdissant, une tendre froidure jalonnant son corps pour qu'il puisse enfin ne se soucier que d'une chose... ce sentiment d'abandon, ce vol représentant une tristesse incomparable, un acte incompris, une mort inutile...

Le Tarakra gisait au pied d'un rocher, des dizaines de corps dépouillés, le sable s'élevant en de fines volutes recouvrant déjà quelques parties des morts en ce lieu oublié... La toge de l'homme était maculée de sang rougeâtre et épais alors qu'une larme avait creusé un sillon propre sur une joue meurtrie, les yeux ouverts, fixant le vide, reflétant une tristesse indéfinissable.