Depuis que la maison d'Halrek avait pris Osmad et imposé sur le Ciran son autorité, beaucoup de choses avaient changé. L'événement le plus important avait été la vaste purge menée par le Saint Ordre et les ostes grandes-ducales au sein du clergé et haut-clergé ciranais. En effet, la maison d'Halrek, soutenue par le roi de Beila, avait convenu de son retour vers le dogme beilanais et l'éradication de ces mauvais fils de l'Eglise qui détournaient la populace de la Vraie Foi.
Bref, l'accession au trône avait provoqué la disgrâce de l'Eglise ciranaise, à présent aux pieds d'Orgnac et Heffdim, les deux villes de religion du Beilan, et ce pour la plus grande joie des Halrek, qui se félicitaient de voir enfin cet obstacle haï hors de leur chemin.
Autre événement important à noter, la construction d'un troisième palais, entre Viel-Castel et le Palais de l'Intendant. A l'instar de Viel-Castel, ce troisième palais avait été construit dans le marbre d'Osmad, un marbre noir que l'on avait délaissé pour le marbre d'Empersiste, plus prisé par la noblesse. C'était bien là le seul élément sur lequel l'on pouvait rapprocher les deux palais. Viel-Castel était un palais de taille moyenne, érigé dans un style ancien et sur des bases fragiles, qui empêchaient tout excentricité ou rajout extravagant.
Le Palais grand-ducal, aussi appelé le Palais Rose, était pour sa part majestueux. Né de l'opulence du Grand-Duc, qui avait auparavant pillé la plupart des églises jugées hérétiques, il s'élevait aussi haut que la grande cathédrale, qui lui faisait face. Voire plus haut, disaient quelques mauvaises langues, ou les lucides qui connaissaient la haine tenace que tenait la maison grande-ducale pour le haut-clergé. Toute vêtue de noir, la bâtisse était aérée par de nombreuses fenêtres, larges et longues. On voyait bien ici que ce palais était le symbole de la grandeur des Halrek, et non pas de sa puissance militaire. En effet, c'était là l'une des demeures des princes et du Grand-Duc, et en aucun cas une caserne ou quelque château fort.
Le surnom de Palais Rose peut paraître une extravagance du peuple, assez bête pour confondre ce palais aux murs si noirs avec quelque manoir fantasmagorique. Il n'en est rien. Ce nom vient en fait de l'intérieur du palais, dont les sols et les escaliers ont été faits à partir du marbre rose de Fort Youg, une petite bourgade réputée pour ses mines de cette pierre rare et pour la position critique qu'elle occupe entre la Kandrasie et l'Aevenspir - qui rend d'autant plus précieuse son marbre. Ainsi donc dans toute l'étendue du vaste palais apparaît un dallage rose et lustré au possible. Le Grand-Duc, exalté par la victoire désespérée de son frère Laetius d'Halrek sur l'Intendant Korrak ainsi que les purges menée contre ses ennemis jurés, n'avait pas hésité à dépenser des fortunes pour débaucher les meilleurs des sculpteurs, architectes et autres artisans de renom, allant même jusqu'à amener à sa cour quelques artistes kandrasiens désoeuvrées, qui décorèrent plusieurs pièces majeures et élevèrent de nombreuses colonnades, nouvelle provocation faite à l'Eglise, qui jugeait que les colonnes relevaient du paganisme kandrasien pur et dur.
Ainsi, fort de sa richesse et des gens qui servaient son projet, Boèce d'Halrek patienta près d'une décennie, séjournant pendant ce temps dans le Palais de l'Intendant, attendant avec délectation ce palais qui devait se montrer si magnifique. Colonnes, jardins élevés, cours secrètes, bientôt, à force de labeur et de fouet, le Palais Rose fut habitable, pour la plus grande joie de la dynastie, qui l'investit quelques jours après cette annonce, malgré les nombreuses salles encore peu ouvragées.