"Seigneur Karsper ! Un coursier beilanais vient juste de se faire annoncer, il serait porteur de graves nouvelles concernant son royaume! "
Estreval fronça les sourcils et, tout à coup, un homme las et encore couvert de la poussière de son voyage fut annoncé par les hérauts. Celui-ci s'avança à pas rapides vers l'intendant d'Aevenspir et lui parla d'une voix pressante. Il s'agissait d'une guerre ! Et, plus grave encore, c'était Empersiste qui avait attaqué le Royaume - comment donc cela pouvait être possible ?
Les généraux et conseillers d'Eskadner furent réunis immédiatement. Le Karsper Estreval annonça sa volonté de venir en assistance au roy Gabriel et, comme nul n'osa le contredire, un silence lourd tomba sur l'assemblée. Aevenspir n'était pas de taille à se dresser contre Empersiste, et par dessus tout les seigneurs ne suivraient pas leur Karsper facilement : la décision d'alliance aevenspero-beilanaise ayant été ajournée et TarPalantir, diplomate en cette affaire, étant resté sourd à sa missive à propos de ce fait. La décision fut cependant arrêtée, quand bien même ses forces personnelles devraient être seules.
Toutefois, s'il ne le paraissait pas, Estreval était profondément troublé. Il avait lui même assuré l'amitié aevenspeer aux empersois, et l'intendant Harald d'Empersiste l'avait gratifié d'un lien commercial précieux. Celui-ci avait brisé cette amitié en déclarant cette offensive déshonorante, certes, mais comme si cela ne suffisait pas, venait ensuite la responsabilité d'une défaite flagrante et du pillage qui pourrait s'ensuivre de ses propres terres par les armées du corps expéditionnaire empersois, qui au lieu de retourner chez elles pouvaient déclarer les hostilités en terre aevenspeer.
Les souvenirs si proches de sa proposition de codification l'assaillaient de plus sans cesse, et il voyait cette guerre comme la réponse de ses efforts : non, la barbarie était inexpugnable, et ce même entre pays gaediens. Son échec était patent. C'est alors que, brisé par ces réflexions, Estreval tomba malade, ce qui le fit rester cloîtré dans ses appartements.
Quand il fût apte à reprendre ses fonctions, le temps avait passé - plus d'une saison et demi. Et pas un seul homme n'était parti pour Beila.
"J'ai laissé mes amis beilans mourir dans une guerre injuste sans réagir sur-le-champ... Et comment pourrais-je me remettre d'un échec si grandiose de ma Codification ? Voilà qui souligne le temps que je vis, qui n'est nullement pour un intendant tel que moi. En mémoire de ces sombres heures, ma volonté est toutefois de ne plus jamais permettre un tel relâchement de mon amitié pour Beila. Beila, dont le culte de l'Elbre en fait sans doute le territoire le plus proche de notre culte scirjique... Et j'agirai concrètement en ce sens."
Afin de se libérer la conscience, Estreval envoya toutefois secrètement une petite partie de son armée faire route pour Beila. Puis le Conseil fut alors rassemblé, et il annonça solennellement sa volonté de se démettre de ses fonctions d'intendant. Enfin, il déclara, haussant la voix :
"...Mais que mon départ soit marqué par notre union avec un territoire ami cruellement ravagé par la guerre ! J'ai failli à la confiance du noble seigneur beilan qui me manda mon aide. Eh bien ! C'est lui même qui me remplacera à la tête de l'Aevenspir, lui, Daaran d'Estiria de Beila. J'ai confiance en lui, et je veux croire qu'il saura faire de Beila et d'Aevenspir des territoires amis comme jamais il ne le furent."
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