La Perle de l'Océan

La felouque approchait de Takkel-Yshma. Cette ville, qui jadis eut une certaine splendeur, n’était plus qu’un simple village. Comme sur les nombreuses plages de la Souhnak, région composée de plaines et de steppes sous la menace de l’avancée du désert d’Orcum, des enfants se baignaient entre les jonques des pêcheurs dans les eaux chaudes du SouhYshmeï, cet océan qui s’étendait au sud de Retrahant. Mais, derrière, la ville était en ébullition, des maisons se bâtissaient, des enceintes commençaient à être érigé, les premières pierres des fondations d’un futur palais avaient été posées. L’homme qui se tenait debout à la proue affichait un grand sourire devant la progression des travaux, sourire que personne ne pouvait voir à cause du masque noir qui recouvrait son visage.

Le capitaine du port, enfin plutôt l’homme qui surveillait l’arrivée des bateaux qui depuis quelques années recommençaient à accoster sur l’unique quai construit de bois, avait prévenu les notables de l’arrivée de l’homme qui redonnait espoir aux Rem’Yshmes, ces "fils de l’océan" qui peuplaient les terres au sud du plus grand désert de Retrahant.

A sa descente de la felouque, le sage de Takkel-Yshma, qui n’était pas un Rem’Yshme mais un Siâlien, l’accueillit.

"Votre voyage a t’il été fructueux, Akathaïadah."

D’un geste, celui qui portait ce titre et qui régnait sur la Souhnak, fit comprendre qu’il n’en était rien.

Il toucha de sa main revêtue d’un gant noir la tête de certains des Rem’Yshmes qui s’étaient agenouillés à son arrivée sur le quai, prit dans ses bras la fillette qu’il avait adopté, puis se retourna vers le sage.

"Vous devez me préparer une entrevue avec le Grand Tiram de Siâle au plus vite."

Sur ces seuls mots, il se dirigea à pied vers la modeste bâtisse qui lui servait de demeure, la fillette blottie dans le creux de son épaule.

La village de Takkel – Yshma se transformait peu à peu en cité. Une première enceinte avait été bâtie. Le palais était encore un projet lointain et l’Akathaïadah résidait avec sa fille adoptive dans une ancienne bâtisse qui avait été érigé jadis lors de la splendeur éphémère de la Souhnak. Les discussions avec le Grand Tiram de Siâle se révélaient très constructives. Néanmoins, certaines familles influentes de Radadjathaïadah ne voyaient en l’ouverture de la route du SouhYshmeï qui reliaient les capitales du Siâle et de la Souhank que des retrahs trébuchants. L’ouverture de cette route ne devait pas servir à engraisser des faux bourgeois qui justifiait leur enrichissement par le dieu des siâliens. Enfin, telle était le point de vue de l’Akathaïadah.

Missoud était l’un d’eux, il possédait 500 chameaux et par conséquent pouvait jouer un rôle primordial dans les échanges commerciaux. Il fut reçu avec grand égard à Takkel – Yshma et eut l’occasion de côtoyer les membres influents de la capitale de la Souhnak lors d’une réception.

Le soir, l’Akathaïadah l’emmena visiter les travaux en cours pour agrandir le port. Ils étaient seuls et le siâlien à cause de l’accueuil se sentait en confiance. Missoud parlait beaucoup et eut même l’audace de remettre en cause le reniement de Zanaryth par les Rem’Yshmes. L’homme était fier, de par sa richesse, il se sentait supérieur. Il tenta également quelques propos désobligeants sur le Grand Tiram Rewald Rem’Orcum prétextant qu’il favorisait l’aspect militaire, le comparant aux anciens Grands Tirams Joaquim ou Kabir.

Ils étaient seules sur la plage afin d’apprécier avec du recul l’extension du port. Un des rares nuages présent dans le ciel obscurcit la lune. L’Akathaïadah regarda le siâlien dans les yeux pour la première fois et lui dit naturellement qu’il n’aimait pas les hommes comme lui.

Missoud fut offusqué et fut surpris, surtout, lorsqu’il vit la dague tenue par la main droite de l’Akathaïadah sortir de sa tunique. Il n’eut pas le temps de réagir, lui qui avait l’habitude de payer des hommes pour sa protection, lorsque la main gauche de l’Akathaïadah attrapa ses cheveux entraînant sa tête en arrière. En une fraction de seconde, la lame trancha la gorge et le sang jaillit de la carotide. Les mains de Missoud tentant d’arrêter le flux rouge de se répandre n’y firent rien. L’Akathaïadah regarda le corps s’affaisser sur la plage et il sourit en constatant que selon ses victimes, le visage affichait des expressions différentes. Ce porc était pitoyable, ses grands yeux avaient perdu toute fierté. Il regretta que le sable soit souillé, heureusement, la marée était favorable, l’océan sacré des Rem’Yshmes ne le serait pas avant que le corps soit enlevé, sinon il ne l’aurait jamais tué en ces lieux.

Au matin, le corps de Missoud fut retrouvé sur la plage gisant à coté d’une jeune fille de joie d’origine inconnue dont la vie avait également abandonné le corps inerte.

Le lendemain, sa fille adoptive sur les genoux, l’Akathaïadah écrivit une lettre au Grand Tiram et à la famille de Missoud en regrettant que la perversion d'un Siâlien envers les jeunes femmes l’ait conduit dans les alentours du port de Takkel–Yshma qui, depuis son expansion avait malheureusement attiré la raclure de Retrahant. Bien entendu dans la lettre, les choses furent édulcorées.

Chevauchant ce maudit chameau depuis plus d’une semaine, il arrivait enfin aux portes de Takkel – Yshma. Seule compensation lors de sa traversée des sables d’Orcum, il avait pu observer, le Dylmorosucus, petit mammifère carnassier peu imaginatif, mais très adapté au microcosme du désert et par extension de Retrahant. L'Akathaïadah, comme la plupart des Rem'Yshmes avait perdu les traditions ancestrales liées aux contraintes du désert. La plupart des chameliers qui assuraient le commerce entre la Souhnak et le Siâle était siâlien. On croisait de nombreux chameaux dans les villages de la Souhnak, mais de plus en plus les Rem'Yshmes lui préféraient le pur sang pour se déplacer à l'intérieur de leur territoire. Ce fait qui semblait être sans importance soulignait la différence qui se creusait entre les deux peuples, siâliens et rem'yshmes qui vivaient en Orcum. Le désert, au travers des vents de sable qu’il générait, était une menace sur les terres irriguées de la Souhnak, mais il avait perdu tout caractère sacralisé. L’océan, ignoré des siâliens, lui était source de vie et d’espoir pour les rem'yshmes.

L'Akathaïadah fut satisfait de voir que, comme il l’attendait, la deuxième enceinte autour de Takkel – Yshma avait été érigée. Le capitale de la Souhnak qui ressemblait à un village lorsqu’il l’avait quitté se transformait peu à peu en une ville. Il regretta le coté intimiste qu’apportait un village, il devait veiller à son aura…

La rencontre avec le Grand Tiram avait été une nouvelle fois positive. Le fait de relier les deux capitales du Siâle et de la Souhnak par une voie fluviale était certes utopiste, mais il transformerait Orcum. Au delà de ce projet pharaonique qui pouvait fédérer les deux peuples en traçant une cicatrice bleue dans le sable du désert, cicatrice qui s’élargirait forcément de vert, il gardait en mémoire l’objectif commun qu’ils partageaient.

La dernière pierre venait d’être posée sur la troisième enceinte de Takkel-Yshma. L'Akathaïadah avait assisté à la cérémonie qui célébrait l’achèvement des défenses de la capitale de la Souhnak. Les rem’Yshmes célébraient cet événement qui les mettait définitivement à l’abri de la menace des diospyrs. L'Akathaïadah ne se réjouissait guère, lui qui avait parcouru ce monde, Retrahant abritait des peuples beaucoup plus dangereux que ses esclavagistes contre lesquels ces murailles ne feraient rien.

Cependant, il pouvait maintenant rompre le pacte qu’il avait fait avec un des chefs Diospyrs, nommé Irianouk Touqué, pacte qui avait pu permettre aux défenses de Takkel-Yshma d’ être érigé en mettant une trève aux pillages récurrents de ces vermines des hauts plateaux.

L’ensemble des felouques du port avait pris la mer et les pêcheurs avaient allumé des flambeaux éclairant ainsi le Souh Yshmei de mille feux. L'Akathaïadah alla rejoindre Irianouk Touqué, sur le balcon de l’ancienne bâtisse qui lui servait de palais. Le diospyr avait accepté l’invitation non pour assister au spectacle, mais pour cette jeune prostituée qu’il lui avait promise, belle plante blonde aux yeux bleus et au teint blanchâtre dont les négriers étaient friands. Ainsi, qu’il l’avait prévu le diospyr consommait la dévergondée pendant que ses hommes de main, qui étaient sensés assurer sa protection, vomissaient leurs entrailles sous l’effet des boissons aromatisées d’une des plantes d’Orcum que seuls certains insectes pouvaient apprécier le goût sans les conduire à une fin certaine.

L'Akathaïadah avait penser à introduire une fine lame tranchante dans le vagin de la femelle, mais il avait finalement décidé de le tuer de ses propres mains. L’orgasme n’était pas loin, lorsque la tête d’Irianouk Touqué rebondit par trois fois sur le carrelage avant de s’arrêter en bas des azulejos qui recouvraient la façade du bâtiment faisant face à la mer.

Il regarda la prostituée recouverte de sang et lui sourit. Malgré les drogues qu’il lui avait administrées, elle se rendait compte que le corps de la créature, qui était en elle, avait perdu toute vie. Il entendit la porte du rez de chaussée s’ouvrir et réalisa que Kalidiah ramenait à la maison sa fille adoptive. il savait qu'elle devait être enjouée du spectacle de lumière sur le Souh Yshmei. Il abandonna le cimeterre sur le balcon et descendit pour aller la mettre au lit. Il apprécait particulièrement ses momments où il racontait à sa fille les contes féériques orcumiens.

Le lendemain, il écrivit une lettre au fils héritier d’Irianouk Touqué.

"Votre père est mort. Toutes mes condoléances. Nos accords sont donc révolus. Néanmoins, je conserve l’idée que les épéistes de l’armée de Takkel-Yshma seront composés essentiellement de Diospyrs."

La felouque pénétrait dans la baie dans laquelle avait été fondée la perle de l’Océan, Takkel-Yshma, la cité la plus au sud du continent de Retrahant. Ylé apercevait enfin le port qui avait été bâti en contrebas de la falaise qui formait le contour occidental de la baie. La ville construite au niveau de la mer s’étendait derrière le port. Le SouhYshmei avait été généreux, la pêche avait été fructueuse et bientôt les poissons s’étaleraient sur les planches de la criée, petit marché du port réservé aux pêcheurs et distinct de celui localisé au centre de la cité non loin de la vieille bâtisse dans laquelle logeait toujours l’Akathaïadah. Ce dernier avait renoncé à bâtir un palais, au lieu de cela avait été érigé en haut de la falaise un immense mausolée, l’AkathaYshmei.

Ylé, comme la plupart des rem’yshmes du peuple n’avait pas compris au départ l’utilité d’un tel bâtiment qui avait pour but de recueillir les dépouilles des Akathaïadahs, Waldzrit de Narc serait le premier à y trouver sépulture. Le symbole était simple, cette falaise semblait dominer le SouhYshmei et, contrairement aux rem’yshmes, ne pas craindre ses turpitudes. Ainsi, les Akathaïadahs domineraient l’océan pour l’éternité. Les événements vinrent convaincre les plus sceptiques des fils de l’océan.

Alors que son bateau allait aborder les quais réservés aux felouques de pêche, Ylé perçut un léger tremblement de terre, fréquent dans les hauts-plateaux pour punir les Diospyrs mais peu fréquent dans la Souhnak. Alors que les deux marins, qu’il employait, finissaient d’amarrer le navire aux bittes du quai, son regard se porta vers l’océan. Il n’avait jamais vu une telle chose et ne vit d’ailleurs plus jamais rien.

La vague d’une dizaine de mètre de haut dévora Takkel-Yshma et sa population. Seul l’AkathaYshmei se dressait indemne en haut de la falaise.

Devant une telle catastrophe, les interprétations furent nombreuses. La première fut que le SouhYshmei voulait punir ses fils. Ainsi, certains incriminèrent les sectes gaediennes qui avaient sous peu fait leur apparition dans Takkel-Yshma. La seconde, très présente parmi les siâliens, était qu’enfin Zanaharyth avait puni les rem’yshmes pour l’avoir renié. Mais, l’évidence apparut aux yeux de tous. Le SouhYshmei s’était juste incliné devant la grandeur de l’Akathaïadah pour lui témoigner de son assujettissement. D’ailleurs, le raz de marée n’avait-il eu lieu lors de l’inauguration du mausolée préservant ainsi la vie de Waldzrit de Narc et de ses proches ?

Cette dernière interprétation constitua la version officielle. Les habitants de Takkel-Yshma incrédules devant cette thèse furent emporter par le choléra qui ne manqua pas de se répandre. Enfin, voilà ce qui fut écrit…

L’Akathaïadah observait sa cité du haut de la falaise sur laquelle s’élevait l’AkathaYshmei, immense mausolée qu’il avait voulu construire de son vivant pour servir de tombeau à lui et à ses descendants. Il avait rompu ainsi avec la tradition des rem’yshmes de Takkel-Yshma qui se faisait incinérer sur leur bateau.

Waldzrit de Narc aurait dû être comblé car la reconstruction de Takkel-Yshma avait été rapide grâce à l’aide financière des autres rem’yshmes et le raz de marée n’était plus qu’un mauvais souvenir. Le soutien du Jadïadah Kenaha Harij et de l’akra’Yshme Ortanga avaient été précieuses. L’aide du Jadïadah ne l’avait point surpris, car il le connaissait de longue date, contrairement à celle de l’akra Ortanga qui l’avait profondément touché. L’Akathaïadah se sentait redevable vis à vis de ces deux seigneurs.

Le raz de marée avait eu pour conséquence positive de révéler la solidarité au sein de la Souhnak. Solidarité cependant limitée à cette région côtière d’Orcum. Bien entendu, il ne s’attendait guère à une aide des diospyrs des hauts-Plateaux mais il aurait pu l’espérer du Siâle. Cependant, celui qui remplaçait le Grand Tiram, toujours détenu par les fironkois, n’était guère à la hauteur de ses espérances.

C’est justement ce dernier point qui troublait l’ Akathaïadah. Il n’avait pas de nouvelle des émissaires qu’il avait demandé au Jadïadah d’envoyer à Fironk dans la cité du Commandeur Garwan. Il avait jugé le sage de la Souhnak, Kenaha Harij, plus apte à mener cette démarche auprès des barbares sans compter que sa réputation était plus reluisante que la sienne. Néanmoins, la délégation comprenait une ressortissante de Takkel-Yshma moins identifiable que les notables masculins de la capitale de la Souhnak qui arboraient sur leurs visages et leurs cranes des tatouages typiques représentant le SouhYshmei, l’océan du Sud.

Ainsi, il ignorait le déroulement des négociations dans la cité d’ Yawni. Il n’avait donc toujours pas obtenu l’accord du Grand Tiram pour écarter définitivement l’Oblath Abu, celui qui le remplaçait à Radadjathaïadah. A ses yeux, cet homme était non seulement incompétent, mais de surcroît il avait osé le défier en suggérant que Zanaharyth avait puni les rem’yshmes en déclenchant le raz de marée.

Il n’attendrait pas indéfiniment et agirait sans l’accord du chef suprême des siâliens. Plusieurs possibilités avaient déjà germé dans son esprit pour assassiner l’Oblath Abu, il ne restait qu’à les mettre en œuvre...

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» Le SouhYshmei, nouveau maître de la Perle de l’Océan.