[Ephyne] Premiers contacts

La délégation avait fait le chemin depuis Fironk après quelques années de mutisme volontaire. L'exil des kandrasiens les avait vus perdre peu à peu une partie de leurs croyances, de leurs modes de vie et de leurs coutumes. Côtoyer les barbares fironkois et les Salamandres les avait rendus plus prudents, plus rusés aussi et plus ... lâches. Gaed leur avait tout retiré : leurs hommes, leurs cités, leurs biens. Leur vie. Ils avaient reconstruit ailleurs, marqués par leurs errements du passé et par le contexte dans lequel ils subissaient le courroux des dieux.

Ils s'étaient installés loin du centre traditionnel de Fironk. Börm et les grandes commanderies du territoire étaient dangereuses. Leur présence n'était pas souhaitée et leur peuple le plus souvent méprisé, parfois haï. Après la fuite de la capitale de Belwän, leurs pas les avaient conduits vers les cotes de Fironk où quelques villages kandrasiens subsistaient de leurs produits de la pêche. Ces pêcheurs n'étaient plus que l'ombre de leurs ancêtres, amaigris, incestueux et salis par cet honneur qui martelait leurs esprits par le biais d'une mémoire bien lourde de sens. Ils ne furent pas vraiment un obstacle à la prise de pouvoir des prêtresses de la Déesse.

Une première cité fût fondée à même l'étendue de mer infinie que l'on nommait mer. Elle prit le nom de leur mère spirituelle, Rhean, tombée sous les coups des Salamandres. Mais après quelques années, il vint le temps où le monde civilisé ne pouvait plus ignorer leur présence en ces terres et où rencontrer les personnes de pouvoir s'avérait plus qu'indispensable. La délégation quitta Rhean sous le regard curieux des habitantes et des habitants. Il était rare que quelqu'un s'éloigne de la cité et encore plus qu'il quitte Fironk. Ephyne était leur destination.

Ils y parvinrent à l'hiver 519, rattrapés par des rapports réguliers et complets de la Mère des Traditions, responsable de la délégation. Ils se mirent rapidement en contact avec les notables d'Ephyne, désirant s'entretenir avec le dirigeant de la Belle. Pour l'heure ils attendaient dans une quelconque antichambre d'un palais, ne sachant si leur interlocuteur suivant serait un énième sous-fifre ou l'intendant de l'Empersiste lui-même.

Quelques jours plus tard…

Ce matin là, comme bien d’autres, l’Empereur avait passé une bonne partie de la matinée enfermé dans son bureau à prendre connaissance de rapports et de dossiers de synthèse concernant les affaires courantes d’Empersiste. On pouvait y trouver en vrac des informations sur des problématiques allant de la production agricole à l’état du commerce en passant par l’artisanat et bien d’autres choses auxquelles on ne penserait pas au premier abord. Tout ceci n’avait rien de très folichon mais était, malheureusement pour lui, suffisamment important pour qu’il en prenne connaissance. C’est alors qu’une note, posée parmi tant d’autres, attira son attention. Quelques heures plus tôt un page était venu frapper à la porte de son bureau pour la lui apporter. Absorbé par la paperasse, il n’y avait guère fait attention jusqu’à présent. Cette dernière avait été écrite par l’un des responsables du protocole et il y était question d’une demande d’audience, rien de très original pour le moment, mais qui émanait de représentants d’une communauté kandrasienne qui avait, semble-t-il, prospérée au sein des terres sauvages de Fironk. Ce qui était déjà plus original. Bien content de trouver quelque chose rompant avec la monotonie, il fit venir un page et le chargea, après lui avoir expliqué certaines choses, d’aller dire à l’auteur de la note qu’il consentait à recevoir les représentants kandrasiens et qu’il devait par conséquent aménager un créneau pour cela. La chose faite, il se replongea, avec un plaisir décuplé, dans un rapport portant sur l’état actuel de la filière bovine dans les marches du nord de l’Empersiste…

Ils furent reçus après un long temps d'attente somme toute assez logique. L'empereur en personne se dressait ainsi devant eux, entouré de quelques dignitaires ne sachant probablement que faire d'autre de leurs journées et habiles à lécher les bottes de leur maître.

Après une digne salutation qui n'engageait à rien sinon à la politesse, Elwna s'entretint quelques instants avec elle-même pour se répéter une énième fois les éléments qu'elle avait à porter à la connaissance du dirigeant empersois. Ce n'était pas tous les jours que l'on avait l'occasion de discuter avec un tel notable et il s'agissait d'être précis, direct et assez simple pour qu'il puisse percuter rapidement, malgré sa parenté affligeante.

"Empereur, je me nomme Elwna et je suis la Mère chargée des traditions du Matriarcat de Fironk.

Je ne sais quelles informations ont pu vous parvenir par l'intermédiaire de nos précédents interlocuteurs aussi tacherai-je dans un premier temps de vous donner une vision précise du peuple que je représente avant d'aborder le point qui nous préoccupe.

Nous sommes originaires d'une contrée que nous avons aujourd'hui reniée. Le malheur s'est abattu en vagues successives sur notre peuple alors que nous ne cherchions que des terres où vivre, loin des guerres et des massacres. Après avoir trouvé refuge à Börm nous avons dû la fuir une fois encore, persécutés par les Salamandres qui continuent encore à l'heure actuelle de se déchirer en luttes incessantes et inutiles. Nous nous sommes installés en des terres de Fironk inoccupées, près des côtes et avons commencé à fonder nos premières cités au sein du Matriarcat dirigé par notre Aïeule Ilith.

Voici deux saisons, une troupe armée a pénétré nos terres en faisant fi de toutes les politesses d'usage en terre civilisée. J'ose croire qu'il ne s'agit pas là d'un trait typique gaedien à en voir les splendeurs de cette cité. Après des inspections d'usage qu'ils voulurent discrètes au possible, ces hommes armés aux couleurs de la cité de Noirmur, ont pris la direction du désert d'Orcum, suivis par quelques uns de nos espions. Ils y trouvèrent Siâle assiégée par Dame Brea Saguenay. Nous sommes à l'heure actuelle sans nouvelle de nos espions depuis leur missive nous relatant ces faits mais des rumeurs attestent de leur décès et de la prise de Radadjathaïadah, capitale de Siâle, par des troupes aux armoiries méconnues de nos informateurs.

Sans nouvelles des missives envoyées à Noirmur, nous nous adressons à vous pour savoir si le Matriarcat de Fironk se trouve aujourd'hui menacé par des armées empersoises comme le fut Radadjathaïadah. Nous en profitons d'ailleurs pour vous demander des informations sur Orcum qui semble avoir une fois encore succombé à une menace opportuniste et avide."

Après avoir lui même souhaité convenablement la bienvenue aux kandrasiennes, il s’arrêta un court instant pour méditer leurs dernières paroles. Jamais il n’avait autorisé une quelconque expédition sur les terres fironkoises, mais il n’avait jamais non plus interdit aux seigneurs empersois de financer sur leurs fonds propres une opération de reconnaissance de ce genre dans les terres sauvages et méconnues de Fironk…Par contre, la présence d’un ost empersois assiégeant la capitale de Siâle était des plus inattendues et méritée une plus grande attention de sa part. Ce genre de campagne ne pouvait avoir lieu sans aval, qu’il n’avait dans le cas présent pas donné. La baronne de Noirmur ne s’était plus présenté au Conseil depuis des années et s’était au fil du temps coupée du reste de la noblesse empersoise. Si bien qu’on ne savait pas vraiment à quoi s’en tenir à son sujet. Qu’elle désire vivre sans quitter son domaine ne dérangeait guère l’Empereur, mais qu’elle envoie des osts sans en référer à quiconque était une autre histoire. Il y a peu une missive était arrivée de Heffdim. Les maîtres du Saint-Ordre se posaient des questions sur la présence d’éclaireurs empersois portant les couleurs de Noirmur au pied de la muraille de leur forteresse…Ce coup ci, elle allait devoir sortir de sa réserve et expliquer clairement ses motivations.

Madame, soyez sans crainte, il n’a jamais était question que des osts empersois marchent sur votre cité et il n’est pas dans mon intention que cela change. Aussi, dans l’état actuel des choses, si votre sécurité se trouve menacée, ce ne sera pas de notre fait. Concernant la présence sur vos terres d’éclaireurs de la dame de Noirmur, je ne peux pour le moment que vous dire que je ne l’ai pas avalisée. Il en est de même pour la présence de cet ost empersois sur les terres du Siâle.