[Ephyne] La paix dans les ruines ?

La Kandrasie connait des temps bien difficiles depuis le début du Ve siècle. Après la mort du Régent Calmanan, la Kandrasie connut de nombreuses défaites. Défaites face aux Gaediens, face aux Fironkois, aux Graméens, suivies par de sanglantes guerres civiles. La dernière bataille contre les Gaediens a de nouveau anéanti les efforts de reconstruction consentis après chaque guerre. Derechef, le pays est ruiné et ses ennemis se sont enrichis, creusant un peu plus l'écart et s'assurant d'autres victoires. Aujourd'hui, la Kandrasie est en proie au retour des adorateurs de Thane qui ont investi Kamo, à une recrudescence du banditisme, aux mauvaises récoltes et à la pauvreté. Bien que la population ne souffre pas encore de la faim car les récoltes sont suffisantes pour garantir l'autonomie du territoire, l'agriculture n'est plus source de revenus pour la Couronne. Bien qu'une grande partie des Reism ait été tuée ou enlevée durant les guerres, les mauvaises récoltes s'expliquent surtout par la dureté des derniers hivers. Les vents venant de l'Aevenspir ont provoqué un refroidissement brutal plus précoce qu'à l'accoutumée et les champs en ont été affectés.
Dans les campagnes, les pillards sont partout. Souvent menés par des soldats déserteurs Kandrasiens ou étrangers, ces groupes conservent une discipline martiale, ce qui les rend bien plus dangereux que les bandes de vauriens que l'on rencontre dans les autres pays. Les vastes plaines sont abandonnées par les propriétaires terriens, les hameaux sont désertés par les habitants qui fuient vers les villes avec leurs biens et leurs troupeaux. Certains villages se sont fortifiés et ont reçu l'aide des soldats de la Couronne mais la plupart d'entre eux restent menacés.
Dans les villes, la situation n'est guère meilleure. La population reste blottie derrière les hauts murs, protégée par les soldats réguliers et les miliciens. Les civils ne sortent plus des villes qu'en groupe et escortés par une troupe armée. Avec le faible commerce, il est difficile de se procurer tous les composants nécessaires à l'artisanat. La production d'outils et d'armes a donc diminué ce qui explique le mauvais équipement des miliciens et le manque de matériel agricole. Le flux massif de paysans ne permet pas de donner une occupation à tous et nombreux sont ceux qui sont condamnés à la misère. Les villes, pillées à plusieurs reprises, vivant en autarcie presque complète, peinent à se développer et à protéger leurs maigres domaines.
Les Prism constituent désormais la Noblesse la plus pauvre de Retrahant. Contrairement aux dirigeants d'autres pays, les Prism ne portent plus de bijoux, d'étoffes rares et ne possèdent plus que peu d'argent. Bien que leur condition reste beaucoup plus supportable que celle de la plupart des roturiers, les nobles Kandrasiens partagent la misère de leur peuple. Certains d'entre eux possèdent encore des richesses mais il est malaisé de les exposer en public.
Mais dans ce triste tableau de ce qui fut l'une des plus glorieuses nations de Retrahant, dont la culture et la beauté ont été maintes comparées à celles des pays Gaediens, subsistent encore quelques lueurs d'espoir. Bien que le pays reste pauvre, que l'économie suffise à peine à subvenir aux besoins des Kandrasiens, un peu d'argent est économisé au prix d'une gestion pointilleuse et d'une importante lutte contre la corruption. La natalité est en hausse, garantissant l'avènement d'une nouvelle génération qui pourra faire progresser le pays. L'armée et les miliciens parviennent à remporter des victoires contre les Thanéites et ont lancé le siège de Kamo, leur principale base. De nouvelles villes se sont organisées pour faire face aux raids et participeront prochainement au développement de la Kandrasie.
____

Le voyage fut court et paisible, bien que la chaleur et l'humidité apportée par les vents du Grand Océan ne l'aient parfois rendu désagréable. La cité d'Elmsael étant proche des frontières de l'Empersiste, la distance à parcourir jusqu'à Ephyne était relativement faible, ce qui n'était pas pour déplaire à la troupe. L'escorte, de seulement cinquante hommes, avait été difficile à rassembler tant la pénurie de soldats était importante en Kandrasie; mais la Couronne ne pouvait se permettre de laisser la diplomate exposée aux Thanéites. Ainsi, plusieurs villages virent leurs défenseurs partir pour l'Empersiste et les habitants furent priés de gagner la cité fortifiée la plus proche car leur sécurité ne pouvait plus être garantie. Ils reçurent, bien entendu, l'assurance d'un retour rapide dans leurs foyers dès que la mission serait terminée. Toutefois, la mesure avant été payante car nul n'avait assailli le convoi et les soldats furent heureux de quitter un instant leur pays et sa guerre pour voir la grande cité d'Ephyne.
Le groupe traversa les terres Empersoises en brandissant des étendards Kandrasiens et des drapeaux blancs, afin que nul ne se trompe sur leurs intentions. Les soldats traversèrent de petits hameaux qui ne semblaient rien connaître de la misère ou de la guerre. Certes, les Empersois combattaient souvent et n'ignoraient rien des batailles; mais depuis combien de temps ces civils n'avaient ils pas subi la venue d'étrangers hostiles ? La vie semblait s'écouler tranquillement dans cette contrée fertile, loin des conflits et de l'agitation. Certes, cela n'était qu'un point de vue et peut-être ces gens avaient-ils connu des attaques mais c'était bien peu comparé à la situation kandrasienne.
Le convoi arriva finalement à Ephyne à l'été et l'agitation populaire semblait indiquer que l'Empereur allait se marier sous peu. Ne pouvant entrer ainsi armés dans la ville, les hommes montèrent leurs tentes à un kilomètre des murailles, les drapeaux blancs restant bien visibles. La diplomate, Iana, entra dans l'une des tentes afin d'échanger sa tenue de voyage pour des vêtements dignes de son rang de Prism, fille du Prism Syckos.
Pendant que quarante soldats gardaient le camp, Iana et quelques hommes partirent pour les faubourgs la ville afin de rencontrer l'envoyée du Régent à Ephyne. La diplomate devait recevoir des conseils de la part de cette femme qui résidait là depuis longtemps, Ewa. Les Kandrasiens voulant faire bonne impression auprès de l'Empereur, Iana portait des vêtements et quelques bijoux presque introuvables en Kandrasie; mais ce luxe semblait de bien peu d'importance comparé au faste de la Belle. Ils escomptaient aussi que le charme de la jeune femme influence quelque peu l'Empereur mais ce charme semblait lui aussi banal dans cette cité, du moins auprès du maître d'Ephyne. Pendant que le groupe chercherait la réprésentante de la Blanche, un homme partirait demander audience à l'Empereur au nom d'Iana.
Après avoir rencontré plusieurs patrouilles de soldats gaediens à qui ils durent expliquer les raisons de leur présence au coeur de l'Empersiste, le groupe put enfin rencontrer la représentante de la Blanche. Celle-ci était visiblement au courant de leur arrivée.

"Dame Ewa, je suis la diplomate envoyée par le Régent et le Prism Syckos, Iana. L'on ma dit que je pourrai loger chez vous le temps de parler à l'Empereur; pendant que mes hommes resteront dans leur camp à l'extérieur de la ville. Un de mes compagnons est parti demander audience à Marküs et il est probable que nous n'obtenions pas de rencontre avant demain au plus tôt.
En attendant son retour, pourrions nous nous reposer ici ? Le voyage fut fatigant et nous n'avons guère pu nous reposer depuis notre arrivée ce matin."

"Chère Iana, Aschen notre bien aimé régent m'avait informé il y a de celà quelques jours de votre arrivée, et il me tardait de vous recevoir tant il s'est montré élogieux à votre sujet" répondit la diplomate kandrasienne en exécutant impeccablement une ample révérence digne des plus grands salons d'Elderine avant de poursuivre.

"Votre escorte et vous même êtes évidemment les bienvenus en ces lieux. Nous avons fait aménager l'étage au dessus des écuries pour acceuillir la troupe, vous trouverez un bon lit dans un appartement près du mien, vos officiers auront également des lits dans le bâtiment principal. C'est un plaisir de vous recevoir, il y a fort longtemps que nous n'avons pas eu de si bonne compagnie à notre table, j'ai hâte que vous me donniez des nouvelles fraîches du royaume et que vous m'en disiez plus sur le domaine de votre père, Sire Aschen s'étant montré très bref à ce sujet. Venez, avec un peu de chance nous pourrons visiter les jardins avant la tombée de la nuit, nous pourrons ainsi parler de la mission qui vous amène içi tout en admirant les fleurs."


Ewa lança quelques directives à ses gens afin d'achever les préparatifs et de soulager les visiteurs de leur charge avant de prendre le bras de la jeune arrivante et de partir en direction du jardin aux massifs géométriques.

"Madame, votre hospitalité nous comble. Mes hommes et moi vous remercions de l'honneur que vous nous faites en nous accueillant dans votre domaine."

Les soldats partirent s'installer selon les directives de leur hôte pendant que les deux femmes prenaient la direction des jardins. L'entretien des plantes était exemplaire; toutes étaient admirablement taillées et en
bonne santé. Il était impossible de trouver pareilles cultures en Kandrasie. La nécessité militaire et le manque de moyens avait conduit les Karéens à délaisser les cultures de la Blanche. Quant aux nouvelles cités, l'espace était insuffisant pour leur permettre la création de parcs sans utilité autre que le divertissement. Sortant de ses pensées, Iana se souvint que son hôte lui avait demandé des nouvelles de leur pays.
Elle hésitait à rompre le calme des jardins pour parler de guerre et de pauvreté mais Ewa semblait ignorer la gravité de la situation kandrasienne. Elle brisa le silence :

"Les grandes cités sont maintenant hors de danger; elles disposent toutes de murs et d'une milice solide. Les armées de mon père et du Régent ont renforcé leurs garnisons dans les villages isolés. Les Thanéites et les bandits ont été traqués aux abords des villes par les miliciens, ce qui a permis d'agrandir les surfaces cultivables et les zones habitables à l'extérieur des murs. La famine n'est plus qu'un tragique souvenir.
Pourtant la situation n'est pas encore revenue sous notre contrôle. Nous manquons d'hommes, d'armes et d'argent. Le pays est trop vaste pour permettre de lutter contre les Thanéites. Ces lâches évitent les combats face aux soldats réguliers et profitent des grandes distances pour frapper et s'enfuir sans que nous puissions les poursuivre. Chaque jour l'on compte au moins une attaque dans tout le pays. Mon père veut former une troupe d'archers montés pour pouvoir les traquer. Selon lui, leur rapidité et leurs arcs leurs permettront de parcourir de grandes distances et d'attaquer sans se mettre en danger. En cas d'invasion, ils pourraient aussi mener des actions rapides sur les arrières de l'ennemi.

Mais pour l'instant, notre principale inquiétude se porte sur Kamo. Le siège dure depuis l'an 515 et tous les assauts que nous avons lancé ont échoué. Nous avons eu de lourdes pertes et depuis, nous comptons sur la famine pour les faire céder. Il est possible que le siège dure cinq voire dix ans car nous ne savons pas quelles sont leurs réserves de nourriture; et nous ne pouvons pas construire d'armes de siège par manque de fonds. A défaut de trébuchets, nous devrons nous armer de patience."

Iana n'était allée qu'une fois à Kamo, à l'été 515, après le second assaut. Les échelles et les béliers calcinés gisaient en bas des murs qui semblaient toujours aussi infranchissables. Les corps pourrissant sous le fort soleil d'été exhalaient une odeur atroce. La joie d'assiéger le bastion Thanéite était passée et ce qui avait dû être une attaque courte et aisée s'était transformée en un siège qui semblerait ne prendre fin que dans une éternité. Les soldats s'accommodaient assez bien des problèmes du pays : la boue et la pluie au printemps et à l'automne, le manque d'eau et la chaleur terrible en été, la neige et le froid mordant en hiver, du moins tant qu'ils résidaient dans des maisons en dur. Dans les campements, la situation était médiocre. La toile ne formait un abri convenable ni contre le soleil ni contre le froid et le moral des soldats déclina.

"Ne vous inquiétez pas, nous prendrons Kamo.

Pensez-vous que l'Empereur acceptera la paix que nous lui demandons ? Pendant mon voyage, j'ai envisagé qu'il la refuse car nous n'avons rien à lui offrir qu'il ne puisse prendre par une autre campagne militaire. J'ai pensé qu'il faudrait peut-être essayer sinon lui offrir un grand tribut, lui montrer que ce que nous lui offrons représente tout ce qu'il nous reste et que nous ne représentons plus un danger pour ses intérêts.
Puisqu'il n'a pas plus de raisons de nous attaquer que de faire la paix, montrons lui que la paix profitera à nos deux pays."