[Smaragd] Un conseil de guerre au duché d'Ousbre

Les nouvelles qui revenaient des marches de l'Empire n'étaient pas des plus éclairantes. A vrai dire, elles étaient assez sombres. Les hordes barbares semblaient s'activer, profitant de la faiblesse du pouvoir impérial. De nombreuses garnisons de l'Empire s'étaient dispersées, la solde n'ayant plus été acquittée après la mort de l'Empereur Baudoin. Cela n'avait fait que renforcer l'audace des barbares, qui lorgnaient sur les possessions d'Empersiste.

Le comte de Smaragd et récemment découvert prince de l'Empire Serlon d'Orilly craignait cet état de fait. Si les seigneuries des marches tombaient, la première cible des hordes serait son bon comté. Plus par manoeuvre opportuniste que par réel souci des problèmes dont souffraient les margraves, il avait invité les seigneurs les plus importants du duché d'Ousbre à participer un conseil de guerre pour organiser plus efficacement les défenses frontalières et voir ce que le reste du duché pouvait apporter aux marches en terme de soutien, ne fut-ce que moralement.

Ainsi une réunion avait été organisé dans sa propre bourgade, au sein de son château. Ne voulant pas exciter la jalousie des pauvres seigneurs des frontières, il décida d'organiser un banquet réduit, se parant d'une robe d'apparat somme toute modeste pour son rang (dont il tirait pourtant une grande arrogance). A partir de là, il attendit les seigneurs conviés.

Quelques jours après la libération de Daermon, le Baron d'Iida fut invité à Smaragd pour un conseil militaire. Le voyage fut court et relativement tranquille, même si la neige avait parfois posé problème à la troupe d'escorte du noble. A quelques lieues de la cité, le groupe s'arrêta, le Baron voulait parler à ses hommes.

"Soldats, nous allons être reçus par le prétendu Prince de l'Empire Empersois. Vous savez tous ce que je pense de ce titre, surtout lorsqu'il est attribué au premier noble venu.
Mais je vous demande de faire très attention à ce que vous allez faire une fois à Smaragd. Je ne tolèrerai aucun dérapage de votre part. Puisqu'il est possible que Serlon d'Orilly administre un jour l'Empire, nous devons lui faire bonne impression."

Le groupe reprit sa progression et arriva à la grand porte où il demandèrent à un garde le droit d'entrer dans le castel ainsi que le chemin qui menait au Prince.

[ A lieu après l'entretien d'Ephyne donc]

Le baron Thän fit son arrivé en ville avec une escorte réduite. Revenant de son entretien d'Ephyne, Mandred lisait les nombreuses missives reçues depuis lors pour l'avertir de la situation sur ses terres. Bien que pressé d'être sur place, il se devait d'assister également au conseil militaire du comte. Peut-être le futur Empereur serait-il d'un quelconque secours dans la présente situation aux frontières.

Se présentant au château de Smaragd il demanda à être annoncé auprès de son hôte.

C'est finalement un groupe de cavaliers, dirigés par le Duc d'Ousbre lui-même, qui arriva non loin de Smaragd. Ayant, il y a peu, reçu la présente demande du Comte de Smaragd à venir assister à une réunion improvisée sur la défense des terres seigneuriales, et, plus précisément, du duché, sa présence se trouvait être obligatoire. Son fils se trouvant à Daermon, ou bien sur la route de Richemont, ou bien alors où seul Gaed le sait, le Duc décida de faire le voyage lui-même. Il était encore en pleine possession de ses moyens ; homme d'âge mûr, avoisinant la quarantaine, les cheveux brun, mi-longs, une barbe finement ciselée mangeant une partie de son visage. Vêtu comme un cavalier - de sang noble, il va de soi - le Duc n'était pas quelqu'un porté sur le luxe, préférant l'efficace au superflu. En politique, il était duale ; tantôt retors, tantôt naïf, il semblait ne pas réellement cerner les difficultés de l'Empire, et s'était décidé, en l'attente un candidat au trône, de s'occuper exclusivement de la protection de ses biens.

Les rumeurs quant à un possible héritier au trône, désignés par les Gardiens, commençaient à se diffuser dans l'Empire, et avaient touché Richemont. Selron d'Orilly était, au palais ducal, un nom connu, puisqu'il s'agissait d'un des vassaux du Duc d'Ousbre. Si cette rumeur se trouvait vérifiée, le Duc espérait qu'un peu de la nouvelle gloire du Comte rejaillisse sur son duché.

C'est ainsi, avec de nombreuses pensées en tête, que le Duc d'Ousbre se présenta au fief de Smaragd, répondant présent à l'appel du Comte.

Lorsque tous les seigneurs conviés furent arrivés et reçus par le comte de Smaragd, ce dernier les enjoint à un banquet où la noblesse réunie put parler de tout et de rien. Bien que le sujet qui préoccupaient tous les seigneurs de la tablée, le comte de Smaragd se montrait réticent à parler de cela autour de victuailles et sous la musique des chantres et des cytharistes. Il y avait ici trop d'oreilles indiscrètes pour qu'on se permette de discuter un si délicat sujet.

Cependant, une fois que les libations furent finies et le repas englouti, le baronnage d'Ousbre rejoignit une salle plus intime où les murs de pierres étaient recouverts de lourdes tapisseries aux scènes martiales, vantant les exploits et faits d'armes des ancêtres du comte de Smaragd. Une fois les nobles attablés autour d'une grande table ronde, accompagnés d'une poignée de leurs hommes, le comte, toujours debout, déclara le conseil de guerre ouvert.

"Messires, nous pouvons enfin parler en toute quiétude du sujet qui intéresse cette réunion. Les barbares semblent se masser aux marches de l'Empire avec un entrain que nous n'avions plus connu depuis quelques années déjà. L'affaiblissement des garnisons impériales, pour la plupart désertées, doit y être pour quelque chose, ainsi que le flottement notable du pouvoir temporel de nos terres. Les seigneurs des marches, j'en suis sûr, sauront mieux nous informer que je ne puis le faire."

Le seigneur Thän hésita un court instant, regardant autour de lui comme pour vérifier que l'on attendait bel et bien son exposé de la situation. Enfin, après une toux discrète pour s'éclaircir la voix, il prit la parole :

"Seigneurs, commença-t-il, ma famille défend la frontière Ouest de l'Empire depuis maintenant trois générations. En général nous avons affaire à des raids mal préparés et visant des villages au hasard de leurs rencontres. Lorsque nous leur donnons la chasse ils fuient sans demander leur reste.... D'habitude..."

Il vida son verre de vin pour se rincer le gosier et poursuivit :

"Comme vous le savez sans doute, une escarmouche a été tendu à mon père lors de sa chasse il y a quelques mois, au cours de laquelle il fut mortellement blessé. Nous pensions que le dernier raid stoppé sur nos terres aurait mis un frein à leurs désirs expansionnistes. Nous avions tort."

"Après la mort de mon père et la mise en vacance du pouvoir impérial, les attaques ont redoublé d'intensité. Malgré nos demandes, Ephyne n'envoyait pas de renforts et nous n'avons pu contenir les envahisseurs dans une contré aussi grande. Plusieurs groupes de cavaliers ont progressé dans les terres de l'Empire sans que l'on puisse les intercepter. S'il s'agit d'éclaireurs comme nous le craignons, alors ils ont un plan détaillé de la région. Par ailleurs, la seconde attaque avait pour but de brûler les récoltes et de tester les défenses des villes frontalières."

Après un moment de silence il se risqua à émettre une hypothèse qui le taraudait depuis un moment déjà.

"Je pense que ce sont la les prémisses d'une invasion barbare. Je ne vois pas d'autres explications à ces attaques. Ce qui est inquiétant c'est qu'ils font des attaques coordonnées maintenant. Ils doivent avoir un chef qui sait leur apporter la discipline qui manquait jusqu'à lors à leurs forces. En tout cas suffisamment pour mener des troupes au combat aux moments opportuns."

"Plusieurs seigneurs dont vous messires (il désigna les seigneurs rassemblés autour de la table), m'ont laissé quelques troupes en garnison pour prévenir toute nouvelle attaque. Je prie Gaed que la prochaine ne soit pas plus virulente."

"J'ai ordonné des rentrés de blé dans mon château, la réparation des portes de ma ville et le rapatriement des populations des villages les plus vulnérables à Daermon."

Pensant avoir bien résumé les faits et apporté ses propres conclusions, Mandred regarda ses pairs et guetta leurs réactions.

Devant le silence qui avait suivi la déclaration du Baron d'Aibrechène, le duc d'Ousbre lui-même se décida à prendre la parole. Se levant de son siège, il jeta un regard circulaire à la noblesse présente.

- Assurément, la mort de feu votre père est un élément fort triste. Assurément, la menace de l'une de mes baronnies et, à fortiori, de savoir que mon peuple souffre me peine. Sachez, baron, que le duché ne restera pas sourd à vos demandes. Déjà, une garnison de l'armée richemonde a prit cantonnement non loin de votre domaine.

Il marqua une pause. Il avait fixé le Baron d'Aibrechène durant sa tirade. Désormais, le Duc s'adressait à toute l'assemblée des nobles.

- Toutefois, Ousbre est vaste, et l'attention de Richemont n'est pas seulement portée sur l'extrémité sud-ouest. Sachez toutefois que dans le cas ou les barbares s'aventurerait à nouveau en Ousbre, des mesures sauraient être prises.

Ywellyn resta assis lorsqu'il prit la parole. Nul besoin d'avoir l'air auguste lorsque l'on ne faisait que parler au lieu d'agir.

"Vous l'avez dit vous-même Duc, Ousbre est vaste. Nous avons déjà du mal à controler les quelques lieues de nos domaines contre des raids de cavaliers. Le temps que nous recevions la nouvelle de l'attaque, l'adversaire est déjà rentré chez lui. Comment comptez-vous protéger le duché dans son ensemble ?

Je suis convaincu que la meilleure défense est, et restera l'attaque. Envoyons nos armées massacrer ces gueux et brûler tout ce qu'ils possèdent. Lorsqu'il ne reste restera plus que des cendres, nous jouirons enfin de la paix à nos frontières.
Mais pour cela, il nous faudra une armée conséquente et un commandant capable de tout faire pour obtenir la victoire que nous espérons. Puisque nous ne pouvons espérer que ces... gens changeront dans l'avenir, nous n'avons pas besoin de faire preuve de compassion ou de pitié."

L'idée plaisait au comte de Smaragd comme elle lui déplaisait. En ces temps de troubles au sein de l'Empire, où ce dernier n'était dirigé par personne sinon des dizaines de seigneurs n'attendant que de placer leurs pions, organiser une expédition dans les terres païennes pourraient avoir des retombées ou bénéfiques ou extrêmement ruineuses. Orilly voulait préserver ses troupes, qui étaient l'un de ses principaux arguments à faire valoir pour l'accession au trône impérial. Cependant, perdre la fidélité des seigneurs des marches ou encore les bloquer à cause de barbares toujours plus audacieux n'était pas non plus une situation favorable.

Le comte de Smaragd espérait bien que le duché d'Ousbre, dont il était l'un des plus forts vassaux, saurait le soutenir dans sa campagne pour la domination de l'Empire. Hésitant sur la marche à suivre, il donna néanmoins son avis.

"L'idée d'une attaque au sein de leurs forces me charme, cependant, il nous faut sonder les alentours. Ces peuples sont belliqueux et déclencher les hostilités doit être fait de manière précise. Si nous commençons à attaquer des clans neutres, m'est avis qu'une alliance se formera parmi eux et nous perdra sous le nombre. Si jamais vous arriviez à apprendre qui se cache derrière ces raids et que vous apportez des informations sûres à propos des terres dans lesquelles nous irons combattre, vous compterez mes forces à votre côté.

Je puis faire jouer mes relations dans les cités barbares pour en apprendre plus, cependant, c'est à vous d'envoyer éclaireurs et cartographes pour recenser de la manière la plus claire le terrain sur lequel nous allons jouer tant de choses."

Le Duc resta quelques instants comme interdit, réfléchissant aux implications que tout ceci pourraient prendre. Il était clair qu'en cas d'attaque de front, l'Ousbre pourrait s'organiser rapidement une défense. Toutefois, si les barbares optaient pour des raids rapides, jamais les troupes du duché ne pourraient arriver à temps pour porter secours à l'assiégé. Les positions d'Aldradan et du comte de Smaragd semblaient de plus en plus séduisantes, à tel point qu'il finit par opiner du chef.

- Assurément, l'idée d'osts en territoire barbare représente un danger immense, mais la contrepartie est aussi importante. Cela nous permettrait d'assurer la sécurité de nos frontières, et ainsi de nos gens. Mais, surtout, qui peut dire quelles richesses se trouvent en dehors de l'Empire ?

Après quelques instants, il reprit une nouvelle fois.

- Ousbre enverra des éclaireurs et des cartographes dans les terres barbares. Une fois que nous seront en possession d'informations suffisantes, nous lèverons une ost punitive.

Il finit par fixer le Baron d'Aldradan, puis le comte de Smaragd.

- Baron, vous êtes en charge de cette mission d'exploration, j'espère que vous vous montrerez à la hauteur. Quant à vous, Comte, je vous chargerai de la capitainerie de l'ost en terre barbare. Je mettrai à votre service plusieurs membres de la noblesse d'Ousbre. Que cette mission soit éclatante de richesse et de gloire !

Le baron d'Aibrechène avait gardé le silence, attendant de voir ce qu'en penserait la noblesse d'Ousbre. L'idée d'une incursion barbare n'était pas pour lui plaire mais il se tint coi à l'annonce de la décision du Duc. S'il manquait d'expérience, son père lui avait bien apprit à tenir sa place.

"Ainsi soit il seigneur, Aibrechène assurera des patrouilles aux frontières du Duché à l'Ouest du grand lac pour assurer les arrières de vos troupes."

"Le comte de Smaragd ici présent n'a, semble-t-il, pas jugé utile d'impliquer Ephyne dans cette affaire. Aussi j'espère que vous savez ce que vous faîtes messires. Je vous remercie de votre sollicitude mon seigneur de Richemont, Aibrechène est heureuse d'apprendre qu'une aide lui sera apportée."

Ceci dit le jeune homme assista par la suite aux préparatifs de l'expédition, silencieux.